Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


Retour à la page précédente 

Les élèves en tant qu'acteurs: simulacre de démocratie ou véritable participation (suite 2)

Par Véronique Truchot

La cohérence du discours

Le problème et son contexte

Cadre conceptuel
Les représentations sociales
L'importance de la parole

Méthodologie
Cadre méthodologique
Mode d'investigation et technique de recherche
Faisabilité
Considération d'ordre éthique

Références


Mode d'investigation et techniques de recherche

Couramment utilisée en recherche qualitative, l'entretien nous semble correspondre aux exigences de cette recherche. En effet, ce mode d'investigation représente «la méthode la plus efficace de l'arsenal qualitatif» (Boutin, 1997, p.2). Nous envisageons donc des entretiens individuels centrés (focused interview) et des entretiens en petits groupes de 5 à 10 élèves chacun afin d'enrichir l'information recueillie.

Compte tenu de l'objet de notre recherche, nous procéderons à des entretiens individuels centrés sur le dialogue et au cours desquels le degré de liberté de l'interviewé sera cependant circonscrit par un cadre préétabli. Même si des thèmes seront préalablement retenus, ce sont les idées exprimées par les élèves qui permettront de structurer les entretiens. Les questions seront donc ouvertes et l'entretien non standardisé(ou non planifié). Par ailleurs, comme nous l'avons mentionné, la prise en compte de la subjectivité du chercheur amène celui-ci à envisager l'entretien sous l'angle d'une construction par l'interaction dans laquelle l'interviewé joue un rúle actif. Ce type d'entretien, qu'on peut qualifier de constructiviste, permet de faire émerger des éléments dont la personne n'est pas toujours consciente. D'autre part, l'écoute active de l'interviewé a l'avantage de susciter la motivation de l'adolescent, ce que ne permet pas le questionnaire classique qui, en quelque sorte, rappelle l'examen.

Compte tenu de l'importance d'utiliser différentes techniques pour la collecte de données, nous prévoyons recourir à des entretiens individuels et à des entretiens de groupe. Le recours à ces deux types d'entretiens peut enrichir grandement le recueil de données et, associés à des techniques complémentaires, ces instruments garantissent une certaine validité à cette recherche. En effet, si l'entretien individuel s'avère être une technique incontournable en raison du fait qu'il permet de cerner la pensée de l'interviwé et d'approfondir certains domaines, l'entretien de groupe présente, quant à lui, de nombreux avantages:

L'entretien de groupe peut cependant comporter certains risques de distorsion:


Il s'agira, au moment de l'interview, d'identifier les leaders et le type d'influence qu'ils exercent dans le groupe et de prendre en compte ces éléments au moment de l'analyse des données.

Nous prévoyons de conduire les entretiens dans les locaux de «maisons de jeunes», lieux de rencontre mis à leur disposition dans certains quartiers de la ville. Au plan de la validité, le fait d'interviewer les élèves dans un lieu qu'ils fréquentent sur une base volontaire réduit les risques d'influence indue. En effet, n'étant pas dans le contexte scolaire, les jeunes auront moins tendance à répondre ce qu'ils pensent qu'on attend d'eux. Il va de soi que ces éléments devront être considérés au moment de l'analyse.

Pour avoir une vision aussi large que possible des représentations des adolescents, nous comptons également recueillir des données auprès de personnes appartenant à leur environnement social (parents, membres du personnel de l'école, intervenants-jeunesse). Pour ce faire, nous aurons recours à des techniques complémentaires qui restent à définir, mais au nombre desquelles nous prévoyons déjà inclure des rencontres informelles avec des parents, des «intervenants-jeunesse» et des représentants du milieu scolaire. La triangulation ou confrontation des données recueillies à partir de plusieurs techniques représente, par ailleurs, une procédure de validation instrumentale et de validation théorique(Boutin, G., non daté, p. 50). à ce sujet, nous comptons soumettre notre interprétation des données à des chercheurs extérieurs de même qu'aux sujets interrogés.

L'étude multi-cas (deux écoles) nous semble être le plan de recherche le plus adapté à l'objet de notre recherche. Il s'agit, en effet, d'étudier de l'intérieur un phénomène de vie dans un contexte donné et de réunir des informations «aussi nombreuses et aussi détaillées que possible en vue de saisir la totalité d'une situation. C'est pourquoi elle [l'étude de cas] recourt à des techniques de collecte des informations variées (observations, interviews, documents)» (De Bruynes et al., cité par Boutin G. non daté, p. 112). L'étude de cas correspond, par ailleurs, au mode d'investigation le plus ouvert et, par conséquent, le moins contrúlable. La difficulté que représente cet aspect lié à l'ouverture ne nous semble pas insurmontable dans la mesure où nous connaissons les caractéristiques de l'adolescence et le contexte scolaire.

Les techniques que nous avons retenues pour réaliser cette recherche correspondent à l'angle écosystémique par lequel nous abordons la question; elles sont en lien direct avec notre début d'analyse de faisabilité. Ce choix correspond également à la façon de se situer en tant que chercheure (8). Ainsi que nous l'avons déjà souligné, nous estimons qu'il est vain d'essayer de s'abstraire de l'objet de sa recherche: «Quand je regarde un objet de recherche, je le transforme dès le départ [...] le chercheur est [alors] son propre instrument»(Lessard-Hébert, Goyette, et Boutin, 1996, p.25). Dans l'état actuel de notre démarche, nous sommes en mesure de proposer, pour la collecte de données, le recours à des entretiens centrés auprès d'une dizaine d'élèves de 4ème et de 5ème secondaires (équivalent à 3ème et seconde) fréquentant deux écoles de Montréal (5 dans chaque école); deux entretiens collectifs semi-dirigés (un dans chaque école, chaque école constituant un cas) et, peut-être, des saynètes à thème.

Nous projetons de conduire deux entretiens exploratoires avec des élèves qui terminent leur secondaire, ce qui devraient nous permettre de dégager les thèmes qui serviront de cadre aux interviews. Nous emprunterons à L'écuyer son approche développementale pour l'analyse de contenu. Cette méthode d'analyse de contenu qui s'applique à l'étude d'un phénomène est, nous dit l'auteur, «suffisamment souple pour se prêter à l'étude de réalités elles-mêmes changeantes» (L'écuyer, R. 1989, p.53). Cette méthode, qui comprend six étapes, commence par une première lecture de tout le matériel et l'établissement d'une liste d'énoncés. Une fois choisies et définies les unités de classification (codification), il s'agit de catégoriser. Dans notre cas, les catégories seront en partie induites et en partie prédéterminées, ce que L'écuyer appelle les catégories objectivées. En effet, il semble difficile de fixer dès le départ le sens des mots sans tenir compte du contexte dans lequel les choses sont dites. Dans un quatrième temps, il s'agira de quantifier les données selon les catégories retenues avant d'en faire l'analyse quantitative et qualitative pour, enfin, terminer par l'interprétation des résultats.

Faisabilité

Si, dans un premier temps, nous avions pensé nous adresser aux écoles pour joindre les élèves, la légendaire lenteur -voire lourdeur- administrative du système scolaire, à laquelle s'ajoutent les changements apportés par la réforme des commissions scolaires (au Québec), nous ont amenée à opter pour le réseau des organismes-jeunesse fréquentés par ces élèves. En effet, compte tenu de notre implication dans divers lieux de concertation de quartiers montréalais, il est tout à fait pensable de conduire en ces lieux des entretiens.

Bien sõr, les jeunes qui accepteront d'être interviewés sont déjà impliqués au plan social dans la mesure où ils fréquentent un centre de loisir ou une maison de jeunes. Mais leur représentation de l'espace qui leur est réservé à l'école pour qu'ils s'expriment sera d'autant plus intéressante qu'ils seront en mesure de comparer diverses expériences.

 



Considérations d'ordre éthique

C'est sur des considérations déontologiques que nous concluerons cet article. Compte tenu de l'importance que nous accordons au respect des droits humains, il nous semble en effet important de porter une attention particulière aux dimensions éthiques de cette recherche. Gérald Boutin(1997, p.95-98) nous mentionne plusieurs éléments à considérer et dont nous tiendrons compte lors de la collecte de données:


Ces éléments sont par ailleurs pris en compte dans les demandes d'approbation déontologiques concernant les recherches portant sur des sujet humains.



Conclusion

à l'heure où les réformes en éducation invitent à une participation accrue des différents acteurs éducatifs, il nous semble primordial d'associer à cette démarche les premiers concernés: les élèves. Du cúté de la recherche, si les enfants et les adolescents ont inspiré de nombreux travaux, notamment en sociologie de la famille et en sociologie de l'éducation, ils ont été très peu étudiés en tant qu'acteurs(Montandon, 1997, p.16). Considérés à travers leur carrière scolaire et les facteurs qui la détermine, les enfants ou les adolescents ont surtout été étudiés en tant qu'objet. Le fait de s'intéresser à la façon dont les jeunes se représentent ce qui leur est transmis nous semble être un moyen incontournable si l'on tient à favoriser leur participation et les préparer à l'exercice de leur rúle de citoyen libre et responsable.

Pour que l'école soit à la mesure de notre discours participatif et à la hauteur des attentes que nous plaçons dans la qualité de l'éducation, nous sommes tous invités à nous pencher sur les formes que pourraient prendre l'éducation à la citoyenneté et aux responsabilités sociales.Le cadre que nous proposons peut permettre aux élèves de participer réellement à cette éducation.


Notes

(1). Contrairement au théoriciens de la reproduction(Bourdieu et Passeron, 1970), ces sociologues qui prúnent des «théories de l'acteur» considèrent le fonctionnement de l'institution scolaire comme la résultante des actions quotidiennes des acteurs (élèves et enseignants). Retour au texte

(2). Le terme «parole» est utilisé dans le sens d'expression de points de vue par le langage. Même si la parole n'est que l'un des moyens possibles pour s'exprimer, c'est à cette forme d'expression que nous nous attarderons au cours de cette recherche. Retour au texte

(3). Il existe, bien sõr, des écoles alternatives qui bâtissent leur projet éducatif à partir du respect de la parole de l'enfant, mais nous parlons ici d'écoles «ordinaires». Retour au texte

(4). Collège d'enseignement général et professionnel, équivalent du Lycée. Retour au texte

(5). Voir notamment les paragraphes 5, 12, 13 et 16 de la Recommandation de 1974. Retour au texte

(6). Notamment: le Pacte international relatif aux droits civils et politiques(1966) et la Convention relative aux droits de l'enfant(1989). Retour au texte

(7). Nous distinguerons le «droit» de parole, l'exercice de la parole et la prise de parole. Retour au texte

(8). Voir la position du chercheur chez Van der Maren. Retour au texte

Références

Abric, J.-C. (1994). Pratiques sociales et représentations. Paris: PUF.

Aubin, M. (1988). Le partage du pouvoir de la parole à l'école, ça s'apprend. Les éditions de la Mer.

Barbier, J.-M.(1996). «Introduction», in: Savoirs théoriques et savoirs d'action. Paris: PUF.

Bokatola, I. O.(1996). «Le droit de l'ONU relatif aux droits de l'homme», in:Valeurs démocratiques et finalités éducatives. Thématique, Hors-série. Genève: Centre international de formation à l'enseignement des droits de l'homme et à la paix, 9-47.

Bourdieu, P. et Passeron, J.-C.(1970). La reproduction éléments pour une théorie du système d'enseignement. Paris: Les éditions de Minuit.

Boutin, G. et Durning, P.(1994). Les interventions auprès des parents. Bilan et analyse des pratiques socio-éducatives. Montréal: Privat.

Boutin, G.(1997). L'entretien de recherche qualitatif. Sainte-Foy: Presses de l'Université du Québec.

Boutin, G. et Truchot, V.(1997). «Les représentations comme ancrage pour éduquer aux droits de l'homme». In: éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme. Des repères pour agir. Thématique. Genève: Centre international de formation à l'enseignement des droits de l'homme et à la paix, 11-27.

Bureau international de l'éducation(BIE).(1992). Recommandation nÁ78 aux Ministres chargés de l'éducation et de la culture, concernant la contribution de l'éducation au développement culturel. Genève: BIE.

Clémence, A., Doise,W., de Rosa, A.S. et Gonzalez, L. (1995). «La représentation sociale des droits de l'homme: Une recherche internationale sur l'étendue et les limites de l'universalité». Journal international de psychlogie, 30 (2), 181-212.

Conseil de l'Europe.(1985). l'Europe des démocraties: humanisme, diversité, universalité; la Recommandation NÁ R (85) adoptée en 1985 par le Conseil des Ministres des états membres du Conseil de l'Europe.

Cournoyer, M.(1986). Dire l'école: Analyse du point de vue des élèves du secondaire sur l'école. Mémoire de maätrise en sociologie, UQAM.

Dewey, J.(1968). Expérience et éducation. Paris: Armand Colin.

___________, 1968. Democracy and education, Quatrième édition. New York: The Free Press.

Dictionnaire de la sociologie..(1996). édition originelle: 1993, Paris: Larousse.

Dictionnaire des symboles.(1982). Paris: éditions Robert Laffont.

Doise, W., et Palmonari, A.(1996). L'études des représentations sociales. NeuchÅtel: Delachaux & Niestlé.

Doise, W. et Herrera, M.(1997). Déclaration universelle et représentations sociales des droits de l'homme. Une étude à Genève. Revue internationale de Psychologie Sociale, 7, 87-107.

Doise, W.(1997). Conférence au Cirade sur les représentations sociales, le 10 mars.

Dossier «Les arcanes du savoir». Sciences humaines, nÁ32, octobre 1993.

Dossier «Apprendre». Sciences humaines, nÁ12, février-mars 1996.

Duru-Bellat, M. et Henriot-van Zanten, A. (1992). Sociologie de l'école. Paris: Armand Colin.

Fauroux, R. et al.(1996). Pour l'école. Rapport de la Commission. Paris: Calmann-Lévy, La documentation française.

Ferry, J.-C.(1995). «Entretien avec Jean-Marc Ferry», in: Entre-vues, juin, nÁ26.

Gilly, M.(1980). Maätre-élève; rúles institutionnels et représentations. Paris: PUF.

Habermas, J.(1981). Théorie de l'agir communicationnel. Traduction française: Ferry, J.-C. et Schlegel, 1986. Paris: Fayard.

__________, 1981. Morale et communication. Paris: Cerf.

__________, 1997. Droit et démocratie - Entre faits et normes. Paris: Gallimard.

Gouvernement du Québec.(1997). Réaffirmer l'école. Rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum, Ministère de l'éducation.

Hénaire, J.(1997). «L'école du XXIème siècle. Nouvelles politiques éducatives: quelques enjeux pour la démocratie». Les dossiers du Cifedhop, Genève: Cifedhop.

Herrera, M. et Lavallée, M.(1996). «Les représentations sociales des droits de l'homme et les valeurs chez les étudiants francophones à Québec». Service social, (45)2, 101-128.

Holmes, J. et Leslau Silverman, é.(1992). J'ai des choses à dire... écoutez-moi! Sondage auprès des adolescents du Canada. Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, Ottawa.

Jodelet, D.(1991). Les représentations sociales. Paris: PUF, 2ème édition.

Kohlberg, L.(1972). Development as the Aim of Education. Harvard Educational Review, (42) 4, 448-495.

Lacout A., et Verges, P. (1973). «La place des représentations dans la formation économique». économie et Humanisme, nÁ214.

L'Ecuyer, R.(1989). «L'analyse développementale du contenu». Conceptions et pratiques de l'analyse de contenu. Actes du colloque de l'ARQ, mai 1988. Painchaud, G. et Anadon, M. (éd.), 51-80.

Lessard-Hébert, M., Boutin, G. et Goyette. G. (non daté). La recherche qualitative, fondements et pratique. Montréal: éditions nouvelles.

Mendel, G.(1979). Pour décoloniser l'enfant. Paris: Petite bibliothèque Payot. 1971, 2ème édition poche.

Meirieu, P.(1997). «L'éducation aux droits de l'homme, quelques jalons, valeurs et pistes d'action». In: Droits de l'homme et citoyenneté. Des repères pour agir. Thématique, nÁ5. Genève: Centre international de formation à l'enseignement des droits de l'homme et à la paix, 107-121.

Montandon, C.(1997). L'éducation du point de vue des enfants. Paris: L'Harmatan.

Morf, A.(1984). «Expérience, connaissances et représentations: tentative d'unification». In: C. Bélisle et B. Schiel, Les savoirs dans les pratiques quotidiennes: recherche sur les représentations. CNRS-Lyon et Université du Québec à Montéal, 418-428.

Moscovici, S.(1961). La psychanalyse, son image et son public. Paris: PUF.

Mougniotte, A.(1994). éduquer à la démocratie. Paris: éditions du Cerf.

ONU.(1989). Convention relative aux droits de l'enfant.

Pépin, Y.(1994). «Savoirs pratiques et savoirs scolaires». In:Revue des sciences de l'éducation, (XX)1.

Piaget, J. avec le concours de onze collaborateurs. (1957). La représentation du monde chez l'enfant . Paris: PUF - 3ème éd.

Rogers, C.(1972). Liberté pour apprendre. Préf. et trad. Daniel Le Bon -Freedom to learn, Paris : Dunod.

Rouquette, M.-L.(1994). Chaänes magiques. Les maillons d'appartenance. Paris: Delachaux et Niestlé.

__________ 1997. «Communication de masse et représentations sociales». Conférence au CIRADE, 1er mai.

Rueff-Escoubés, C. et Moreau, J.-F.(1987). La démocratie dans l'école. Paris: Syros Alternatives.

Skinner, B.F.(1968). La révolution scientifique de l'enseignement. Paris: Dessart.

Unesco.(1974). Recommandation sur l'éducation pour la compréhension, la coopération et la paix internationales et l'éducation relative aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Conférence générale, 19 novembre.

Van der Maren, J.-M.(1996). Méthodes de recherche pour l'éducation. Les Presses de l'Université de Montréal, 2e éd.

Vygotski, L..S., Mind in Society. The Development of Higher Psychological Processes. Cambridge-London: Harvard University Press.

Wastzlawitz, P.(1988). L'invention de la réalité. Contribution au constructivisme. Paris: Seuil.

*Cet article fait suite à un projet de mémoire déposé au Département des sciences de l'éducation de l'UQAM.

PAGE PRÉCÉDENTE

© CIFEDHOP 2007