Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
Cadre conceptuel
Les représentations sociales
L'importance de la parole
Méthodologie
Cadre méthodologique
Mode d'investigation et technique de recherche
Faisabilité
Considération d'ordre éthique
Symbole de manifestation de l'intelligence dans le langage (Dictionaire des symboles, p.582), la parole est à la base de la vie en société. L'importance que nous y accordons se fonde tant sur les théories piagétiennes relatives à la construction du social chez l'enfant que sur des bases éthiques.
Selon la Commission(française) de réflexion sur l'école, «S'exprimer, questionner, communiquer, argumenter sont les outils indispensables de tout apprentissage scolaire et de toute vie sociale. Savoir lire, savoir écrire et d'abord savoir parler sont la première famille des savoirs fondamentaux»(Fauroux, R. 1996, p.61).
Pour les sociologues interactionnistes(Mead, 1971; Crozier, 1977), la formation de soi se fait à travers les interactions avec la communauté. Ces interactions, qui passent par la parole, les gestes, les symboles, permettent à l'individu d'intérioriser des normes, mais également de participer à l'autorégulation de la communauté. Autrement dit, l'individu ne peut construire sa personnalité qu'à travers les échanges avec une communauté sociale dont il a intériorisé les valeurs, les codes; en retour, cette communauté est le produit des interactions entre ses membres. De ce point de vue, le comportement humain n'est pas une simple adaptation à l'environnement, mais un processus interactif de construction de cet environnement. Cela est exprimé par la formule de W.I. Thomas: «Si les hommes définissent des situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences»(Dictionaire de la sociologie', p.126). Une institution, par exemple, est la réponse commune apportée par les membres d'une communauté à une situation particulière. Cela suppose un communauté d'interprétation des signes, la construction d'un «moi individuel» par le jugement des autres et le primat de l'action dans la connaissance. On doit donc porter une attention particulière à la pratique quotidienne de ces interactions.
Au plan philosophique, la parole a toute son importance si l'on se réfère à des auteurs tels Habermas(1981,1986), Kohlberg(1972), Ferry(1995), Reboul(1971), pour qui l'expérience de la communication entre humains et avec le monde est le point d'ancrage de tout apprentissage devant participer à la construction d'un référentiel éthique. Cette expérience communicationnelle, de laquelle Habermas a tiré une théorie, passe notamment par la prise de parole. Mais communiquer, c'est aussi comprendre et «comprendre ce qui est dit exige la participation et non simplement l'observation»(Habermas, 1986, p. 48). Il est ici question d'une éthique de la discussion qui engage chacun et chacune dans un processus d'écoute active, ce qui suppose qu'il existe un espace où cette parole peut s'exprimer et où elle est écoutée.
L'expérience de la communication est également fondamentale d'un point de vue psychologique. Dès qu'il vient au monde, le petit d'homme lance des appels indifférenciés vers l'extérieur. Les réponses, quand elles sont apportées, permettront progressivement à l'enfant de se différencier du monde qui l'entoure. C'est dans l'expérience de l'interaction que, par ajustements successifs, se sémantisent les gestes et les expressions et que, progressivement, émerge la conscience. La conscience de soi ne peut donc qu'être générée par une communication.
Que ce soit d'un point de vue philosophique, psychologique ou sociologique, la parole -ou toute forme d'expression qui permet de communiquer- est primordiale dans le développement tant personnel que social de l'enfant et de la personne, au sens large. Cette préoccupation d'instituer des «espaces de parole» rejoint celle des défenseurs d'une école démocratique (Dewey, 1968; Mendel, 1971; Rueff-Escoubès et Moreau, 1987; Mougniotte, 1994; Meirieu, 1997), pour qui la mission première de l'institution scolaire est de contribuer à l'avènement d'une société démocratique (juste, libre et responsable). On peut toutefois se demander comment éduquer démocratiquement à la démocratie? Sans répondre ici à cette question complexe, il convient de rappeler, même si cela peut paraätre une évidence, que sans «droit» de parole, il ne peut y avoir de démocratie, même si, pour certains auteurs(Piaget, 1957; Glasersfeld, 1985; Morf, 1984), la démocratie a ses assises dans l'action. Si l'on considère la prise de parole comme une action en soi, nous rejoignons ces auteurs pour qui la participation active est une composante essentielle de la démocratie.
Le fait d'utiliser l'expression «droit de parole» nous amène à distinguer le droit international des droits de l'homme -qui nous sert de cadre de référence- des «droits» tels qu'ils sont perçus relativement à des coutumes (droit d'aänesse) ou à des privilèges (droit de cuissage), par exemple. S'agissant de notre objet, précisons que le «droit» de parole n'existe pas en droit international des droits de l'homme, alors que le droit à la liberté d'expression est souligné dans plusieurs instruments internationaux(6). Cependant, pour ne pas alourdir le texte, nous utilisons indifféremment les deux appellations.
Compte tenu de l'importance que revêtent les représentations dans l'agir de chacun, nous voulons, avec cette recherche, explorer celles d'adolescents vis-à-vis de leur «droit» de parole à l'école. Cet exercice de la parole, dont nous avons vu qu'il est essentiel dans la construction de la personnalité est influencé par les représentations au même titre que d'autres «actions». Une meilleure connaissance de leurs représentations pourrait apporter un éclairage sur les pistes à privilégier pour favoriser la participation des élèves. Notre recherche devrait permettre de connaätre les représentations qu'ont les élèves de leur droit à la liberté d'expression et la prise en compte de ce droit à l'école secondaire.
Méthodologie
Comme nous l'avons déjà évoqué, l'objet de notre recherche a été très peu étudié et il n'existe pas, à notre connaissance, de théorie qui nous permettrait d'explorer plus à fond les représentations des élèves de leur droit de parole. Il s'agit donc d'une recherche exploratoire de type interprétatif. En effet, les travaux qui existent cherchent à apporter un éclairage sur le regard que portent les enfants sur leur propre socialisation (Montandon, 1997), ou à connaätre la représentation sociale des droits humains chez des adolescents et des jeunes adultes(Clémence et al.,1995; Herrera, 1996). Mais, souvent ces recherches visent à établir des liens entre la perception des étudiants et des variables telles que le sexe, le statut socio-économique des parents, l'origine ethnique, etc...
La démarche exploratoire n'est pas synonyme de méthode qualitative, comme l'usage courant peut le laisser entendre. Il nous semble cependant juste de dire que les méthodes qualitatives conviennent particulièrement aux explorations qui se donnent comme but de générer des hypothèses en vue de construire une théorie(Cournoyer, 1986, p. 37). Le choix d'une méthode de type qualitatif correspond par ailleurs aux fondements philosophiques et épistémologiques sur lesquels nous fondons notre démarche et renvoie à l'axiologie qui sous-tend l'ensemble de notre recherche. Comme nous l'avons déjà mentionné, dans la perspective que nous privilégions, les connaissances ne sont plus considérées commes des «théories» rendant compte d'un «réel» existant en dehors de celui ou celle qui les produit. Nous serons donc amenée à «reconnaätre» notre subjectivité afin de la prendre en compte au moment de l'analyse des données(Boutin, 1997). Cette orientation épistémologique nous conduira, d'autre part, à utiliser une méthode qui place le sujet dans l'univers social et physique dans lequel il évolue. Ainsi, la recherche qualitative nous semble convenir davantage à l'objet de notre recherche que la recherche quantitative qui vise plus les résultats quantifiables et mesurables que le processus. De plus, la prise en compte des notions contextuelles et la reconnaissance de la subjectivité nous paraissent essentielles dans le cadre d'une recherche sur les représentations. Le chercheur n'est plus extérieur à son objet de recherche, lequel recouvre, avec une telle approche, son statut de sujet-acteur.
Cette place accordée à l'acteur, ne doit pas faire oublier que celui-ci vit dans un environnement social. Les jeunes, dont nous cherchons à comprendre les représentations qu'ils ont de leur droité de parole (7), évoluent dans plusieurs sphères: la famille, l'école, le quartier, les pairs, etc... Cela nous conduit à envisager la collecte de données sous un angle écosystémique. Cette approche -qui conduit à prendre en considération les différents milieux dans lesquels évolue l'adolescent et à envisager la problématique sous plusieurs angles- correspond, au plan théorique, à un modèle comprenant quatre sous-systèmes (Boutin, 1996, p. 138). Dans le cadre de notre recherche, ces sous-systèmes se définiraient comme suit:
Pour reprendre la catégorisation proposée par Van der Maren(1995), on peut considérer que l'enjeu principal de notre démarche est avant tout nomothétique (faire avancer la connaissance).
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