Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
Le droit international des droits de l'homme
Conception - Elaboration - Aboutissement
Par Isse Omanga BOKATOLA
Le droit en grain relatif aux droits de lhomme
Lélaboration des projets de textes: la théorie
Au sein de lONU, il nexiste pas de procédure précise et unique pour létablissement des textes internationaux se rapportant aux droits de lhomme. Tout au plus, dans sa résolution 41/120 du 4 décembre 1986 intitulée Etablissement de normes internationales dans le domaine des droits de lhomme, lAssemblée générale a invité les Etats membres et les organismes de la famille des Nations Unies à garder à lesprit les principes directeurs suivants lorsquils établissent les textes; ceux-ci devraient:
- concorder avec lensemble du droit international existant en matière des droits de lhomme;
- revêtir un caractère fondamental et procéder de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine;
- être suffisamment précis pour que les droits et obligations en découlant puissent être définis et mis en pratique;
- être assortis, le cas échéant, de mécanismes dapplication réalistes et efficaces, y compris des systèmes détablissements de rapport;
- susciter un vaste soutien international.
LAssemblée générale a toujours affirmé le rôle important qui revient à la Commission des droits de lhomme dans lélaboration des textes relatifs aux droits de lhomme. En effet, généralement, cest la Commission des droits de lhomme qui prépare un projet de texte, à la demande de lAssemblée générale par lintermédiaire du Conseil économique et social, ou suite à une requête de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Lorsque linitiative du texte ne vient pas de la Sous-Commission, la Commission des droits de lhomme peut demander lavis de cette dernière, qui confie en général à lun de ses membres la tâche de préparer une analyse de la question.
Après avoir reçu les documents pertinents établis par la Sous-Commission, la Commission des droits de lhomme d'ordinaire crée un groupe de travail informel à composition non limitée, cest-à-dire ouvert à tous ceux qui participent à ses travaux, pour examiner les questions liées à lélaboration dun texte, et préparer le projet. Le groupe de travail se réunit une fois par an pendant une semaine avant la session annuelle de la Commission.
Dans lexamen du projet de texte, la Commission a lhabitude de communiquer celui-ci pour vues, observations et suggestions à tous les Etats membres des Nations Unies, aux institutions spécialisées concernées par le sujet, aux organisations intergouvernementales régionales et aux organisations non gouvernementales intéressées. Les réponses reçues sont analysées en vue de leur prise en compte, et un document de travail les récapitulant est rédigé par le Secrétariat de l'onu, en l'occurrence le Centre des Nations Unies pour les droits de lhomme. Presque toujours, avant ladoption du projet, un Comité linguistique est chargé den revoir les versions dans toutes les langues de lOrganisation (anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe), afin den assurer la concordance. La Commission des droits de lhomme peut alors adopter le projet, quelle transmet au Conseil économique et social, lequel à son tour le transmet à lAssemblée générale.
Le projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones: la pratique
Lélaboration du projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones illustre parfaitement le processus décrit ci-dessus en matière de préparation des textes internationaux relatifs aux droits de lhomme.
Les peuples autochtones ou aborigènes sont ainsi dénommés parce quils vivaient sur leurs terres avant que des colons ou des peuples dominants venus de contrées éloignées ne sy installent. Lexistence de ces peuples a toujours été mise en danger lorsque des nouveaux venus, de cultures ou dorigines ethniques différentes, se sont établis dans leurs régions en sappropriant des terres par la conquête, loccupation, la colonisation ou dautres moyens. Les peuples autochtones ont de tout temps cherché à conserver une identité et un patrimoine culturel qui leur étaient propres, en luttant contre les politiques dassimilation et dintégration visant à les insérer dans le moule des populations dominantes.
Genèse du projet de déclaration
Pendant plus de vingt ans à partir de la création de lONU, les représentants des peuples autochtones avaient lancé périodiquement des appels à lOrganisation, mais sans susciter de réactions. Lannée 1970 a marqué un tournant lorsque la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a recommandé et obtenu lautorisation du Conseil économique et social, via la Commission des droits de lhomme, de procéder à une étude générale et complète du problème de la discrimination à lencontre des populations autochtones. En 1971, la Sous-Commission a désigné un de ses membres, M. José R. Martinez Cobo, en tant que Rapporteur spécial chargé deffectuer cette étude, qui devait notamment proposer des mesures nationales et internationales à adopter pour éliminer la discrimination contre les populations autochtones. Le rapport final de M. Martinez Cobo a été présenté à la Sous-Commission en 1984.
Toutefois, avant que le Rapporteur spécial nait achevé son étude, la Sous-Commission, comme le lui avait autorisé le Conseil économique et social en 1982, a constitué annuellement, depuis août 1982, un Groupe de travail sur les populations autochtones chargé, dune part, de passer en revue les faits nouveaux concernant la promotion et la protection des droits de lhomme et des libertés fondamentales des populations autochtones, dautre part, daccorder une attention particulière à lévolution des normes relatives aux droits de ces populations. Organe subsidiaire de la Sous-Commission, le groupe de travail est composé de cinq experts indépendants membres de la Sous-Commission. Il se réunit durant une semaine juste avant la session annuelle de la Sous-Commission, et est ouvert à toutes les parties intéressées: représentants des gouvernements, dinstitutions spécialisées et dautres organes de lonu, dorganisations internationales et intergouvernementales régionales, dorganisations non gouvernementales et de populations autochtones elles-mêmes.
Élaboration du projet de déclaration
Le Groupe de travail de la Sous-Commission a accordé une grande importance, surtout à la seconde partie de son mandat:, à lévolution des normes internationales concernant les droits des populations autochtones. Il a ainsi décidé en 1985 de donner priorité à lélaboration dun projet de déclaration internationale sur les droits des populations autochtones (la Sous-Commission a remplacé les termes populations autochtones par lexpression peuples autochtones en 1988) que lAssemblée générale des Nations Unies sera appelée à examiner en vue de son adoption et proclamation. De nombreux milieux ayant appuyé laccomplissement de cette tâche, un projet de texte a été établi et a servi de base à lélaboration de la déclaration. Plusieurs droits et libertés des peuples autochtones sont traités dans le projet de déclaration, qui prévoit également des procédures pour résoudre les conflits ou les différends entre Etats et peuples autochtones. Le Groupe de travail de la Sous-Commission a tenu compte des observations formulées au cours de ses sessions et dautres remarques communiquées par écrit.
De nombreuses années (1985-1993) et de multiples travaux ont été nécessaires pour pouvoir aboutir à un accord sur toutes les questions diverses et difficiles soulevées par le texte. LAssemblée générale en décembre 1992, la Commission des droits de lhomme en mars 1993, et la Conférence mondiale sur les droits de lhomme, dans la Déclaration et programme daction de Vienne de juin 1993, ont prié le Groupe de travail de la Sous-Commission de faire de son mieux pour achever lélaboration du projet de déclaration en 1993. Pour donner suite à ces recommandations, le Groupe de travail de la Sous-Commission, en juillet 1993, a terminé la préparation et adopté le projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones.
Suites données au projet de déclaration.
En août 1993, la Sous-Commission a prié le Secrétaire général de lonu de soumettre dès que possible le projet de déclaration aux services appropriés du Centre pour les droits de lhomme en vue de sa révision technique. Comme dhabitude, la révision technique se fait conformément aux principes directeurs mentionnés ci-dessus et contenus dans la Résolution 41/120 du 4 décembre 1986 de lAssemblée générale. Cette révision tient aussi compte de la propre expérience du Secrétariat en la matière.
Ainsi, pour la révision technique du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones quil a effectuée en 1994, le Secrétariat sest particulièrement attaché à une formulation cohérente et précise, en ayant notamment recours au genre neutre, et a veillé à assurer lharmonisation entre diverses versions du texte dans les différentes langues officielles de lonu, ainsi que la concordance entre le préambule et le dispositif du texte. Il faut noter, en outre, que le Secrétariat a examiné les articles du projet à la lumière des instruments internationaux en vigueur, à savoir les instruments internationaux qui figurent dans la dernière version du document des Nations Unies Droits de lhomme, Recueil dinstruments internationaux (1994), la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples, la Convention de lOrganisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux N° 169 et la Convention sur la diversité biologique. Il convient enfin de souligner que la révision demandée par la Sous-Commission était dordre technique et visait à aider les peuples autochtones et les gouvernements à comprendre certains points du projet de déclaration. Aucune modification na ainsi été apportée au projet adopté en juillet 1993 par le Groupe de travail de la Sous-Commission sur les populations autochtones.
En août 1994, la Sous-Commission a adopté le projet révisé techniquement de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle a également décidé de le soumettre à la Commission des droits de lhomme, à la session de cette dernière de 1995, en lui demandant de lexaminer dans les meilleurs délais.
En mars 1995, la Commission des droits de lhomme a donné suite à la demande formulée par lAssemblée générale en décembre 1994, qui lencourageait à examiner le projet de déclaration adopté par la Sous-Commission: elle a décidé de créer à titre prioritaire un groupe de travail intersessions à composition non limitée de la Commission des droits de lhomme, chargé exclusivement délaborer un projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones, à la lumière du projet de déclaration adopté par la Sous-Commission en août 1994, pour examen et adoption par lAssemblée générale dans le courant de la Décennie internationale des populations autochtones 10 décembre 1994-10 décembre 2004. Cette décision ayant été approuvée par le Conseil économique et social en juillet 1995, le Groupe de travail de la Commission des droits de lhomme a tenu sa première session du 20 novembre au 1er décembre 1995.
Le groupe de travail de la Commission a entamé la première lecture du projet de déclaration, tel quil avait été adopté par la Sous-Commission en août 1994. Les participants ont déclaré que dans lensemble le projet représente une bonne base de discussion. Mais personne ne peut présager de la durée de ces discussions, lorsquon sait que le projet de déclaration connaîtra au Groupe de travail de la Commission le même parcours quil a connu au groupe de travail de la Sous-Commission, et quil a fallu huit ans pour que le groupe de travail de la Sous-Commission ne ladopte. Tout le monde saccorde cependant sur la nécessité pour le groupe de travail de la Commission des droits de lhomme et pour la Commission elle-même dadopter le plus rapidement possible un projet de déclaration, à transmettre au Conseil économique et social. Ce dernier soumettra à son tour le projet à lAssemblée générale, en vue dune adoption souhaitée dans le cadre de la Décennie internationale des populations autochtones.
Conclusion
Tout ceci signifie que le projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones demeure encore, comme tout projet de texte international, une semence pour un droit ou un droit en grain qui, en tant que potentialité, pourra produire ou non un jour un fruit-droit vert, cest à dire une déclaration.
Certains textes des Nations Unies relatifs aux droits de lhomme sont restés des droits en grain, en dautres termes des textes qui nont pas dépassé la première étape du processus délaboration des textes de lonu relatifs aux droits de lhomme, létape de la Commission des droits de lhomme et du Conseil économique et social. A la fin de 1996, on peut mentionner les textes suivants:
- lensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663(XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076(LXII) du 13 mai 1977;
- les garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, approuvées par le Conseil économique et social dans sa résolution 1984/50 du 25 mai 1984;
- les principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens denquêter efficacement sur ces exécutions, recommandés par le Conseil économique et social dans sa résolution 1989/65 du 24 mai 1989.
Enfin, en plus du projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dautres projets se trouvent aussi actuellement en état de droit en grain auprès de la Commission des droits de lhomme. Ce sont:
- le projet de Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de lhomme et les libertés fondamentales universellement reconnus;
- le projet de protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant, visant à instituer un système préventif de visites régulières dans les lieux de détention;
- le projet de protocole facultatif à la Convention relative aux droits de lenfant, concernant la vente denfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants;
- le projet de protocole facultatif à la Convention relative aux droits de lenfant, concernant la participation des enfants aux conflits armés.
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