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16ème session

Droits de l’homme et pluralisme culturel: Le défi d’une éducation démocratique (suite 1)

IV. Ancrages juridiques

4.1 Les droits culturels en tant que droits de l'homme

Isse Omanga Bokatola, juriste.

Table des matières

Introduction: la définition de la culture

La définition des droits culturels

Les sujets des droits culturels

Le contenu des droits culturels

La mise en œuvre des droits culturels

Conclusion

A. Introduction: la définition de la culture

Parler des droits culturels avant de traiter de la culture reviendrait à vouloir mettre la charrue devant les bœufs. En effet, la question de la reconnaissance des droits culturels est d’abord un problème culturel avant d’être un problème juridique, politique ou autre. Ainsi, pas de droits culturels sans culture; en d’autres termes, l’existence des droits culturels suppose en premier celle de la culture. Il est dès lors indispensable d’essayer d’arrêter une définition du mot culture préalablement à la détermination des droits qui l’objectivent: il faut d’abord définir la culture et ensuite s’occuper des droits culturels.

Pour la plupart des êtres humains, le mot culture fait penser aux œuvres artistiques, littéraires, philosophiques, scientifiques. Pour les spécialistes, le concept englobe ce sens restreint et davantage encore : la culture renvoie à tout ce qu’un individu acquiert en tant que membre d’une société, à savoir, toutes les capacités et toutes les pratiques qui s’apprennent par expérience ou par tradition, ainsi que tout l’environnement matériel qui est produit par le groupe. La culture s’exprime alors dans les œuvres de l’art et de la science, mais également dans l’habillement, la cuisine, l’architecture, le système de valeurs, la morale, les traditions, les croyances, l’éducation, les modes de vie, les langues, la nature des relations familiales et sociales, la vision du monde, l’attitude vis-à-vis des étrangers, la conception du présent et de l’avenir,... Cette liste n’est pas exhaustive, elle indique seulement l’étendue et la complexité du contenu de la culture dans son acception la plus large.

La définition large de la culture rejoint celle qui a été adoptée par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (MONDIACULT) organisée par l’UNESCO, à Mexico, en 1982. Ainsi, pour l’UNESCO la culture est "l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, entre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances".

De la sorte, la culture d’un peuple englobe la totalité de son cadre de référence existentiel et elle renferme toutes (ou presque) les réponses que ce peuple peut apporter face aux exigences de son cadre de vie : le premier devoir de l’être humain est de vivre, et l’une des principales fonctions de la culture est de permettre aux individus d’assurer ou préserver leur existence ainsi que de perpétuer la vie.

Ainsi entendue, la culture désigne la conception que chaque peuple se fait de son monde et du monde. Dans ce cadre, pas de place à l’idée que certains cultures puissent être supérieures ou inférieures à d’autres en qualité ou en quantité, ce qui implique la reconnaissance de toutes les cultures et la prise en compte de la diversité et de l’égale dignité des cultures. Dans ce cadre également, la véritable culture "universelle" doit être le rassemblement de ce que les cultures "nationales" ont en commun, un élan, en quelque sorte, vers l’unité spirituelle de l’homme; la culture "universelle" ne doit pas abolir la pluralité des cultures; ses rapports avec les cultures "nationales" doivent s’exprimer dans la complémentarité, génératrice de la totalité humaine en mouvement. Retour à la table des matières

B. La définition des droits culturels

En général, la conception des droits de l’homme que se fait le commun des mortels provient de sa propre culture. Par ailleurs, il arrive que l’on se serve de la culture pour relativiser ou même refuser des droits à la personne humaine, en remettant ainsi en question l’universalité de ces droits, et aucune région de monde n’échappe à ce constat. On doit savoir que les cultures ne sont pas immuables et que les droits de l’homme peuvent être un moyen de les faire évoluer. Également, nul ne peut contester que chez tous les êtres humains et dans toutes les cultures, existe l’exigence fondamentale que des droits sont dus à l’individu du simple fait qu’il est un être humain. C’est ce qui explique que le fondement de tout l’édifice international des droits de l’homme soit l’idée de la dignité et de l’égalité humaines (Déclaration universelle des droits de l’homme de l'homme de l’ONU), égale dignité de tous les êtres humains qui est à la base des droits qui leur sont reconnus sans aucune discrimination.

L’examen des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme, spécialement dans le cadre de l’ONU, montre que les droits culturels figurent en queue de la liste des catégories de droits accordés à l’être humain: droits civils, politiques, économiques, sociaux et, enfin, culturels. Cependant, ces cinq espèces de droits concernent tout l’individu, dans ses différentes dimensions. Tous ces droits sont donc indivisibles, à l’image de la personne humaine qui forme un tout.

Trop longtemps, les droits culturels sont restés les "parents pauvres" des droits de l’homme, les moins définis, peut-être du fait notamment que la culture qui s’y rapporte est souvent considérée comme un "fourre-tout" hétéroclite, en tout cas une notion particulièrement insaisissable.

De plus en plus, les droits culturels en tant que droits de l’homme sont définis comme des droits reconnaissables à chacun, sans discrimination, de choisir les références de son identité culturelle, en fonction des diverses communautés et héritages culturels auxquels il se réfère librement. Les droits culturels sont donc à interpréter dans l’indivisibilité de tous les droits de l’homme, ce qui, d’une part, les garde de toute interprétation abusive et, d’autre part, complète et précise la définition des droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus.

Dans cette définition, le terme "culturel" recouvre toutes les dimensions de la culture: non seulement les arts, les sciences, les langues, les valeurs, mais aussi toutes les représentations et traditions déterminant les modes de vie. Il s’agit d’éviter la confusion de bien des textes qui ajoutent l’adjectif "culturel" a la fin d’une énumération (artistique, scientifique et culturel par exemple).

Pour ce qui est de l’identité culturelle, cette notion est entendue ici à la fois en liaison avec l’appartenance à des communautés culturelles particulières, et avec la référence aux valeurs universelles. Ce n’est donc pas exclusivement une revendication particulariste du droit à la différence, mais aussi bien celle du droit à la ressemblance et à la non-discrimination. L’identité culturelle a nécessairement ces deux faces. Cette situation est une manifestation de la tendance actuelle à définir l’humanité comme l’ensemble de tous les êtres humains, et à reconnaître à chacun le droit de créer aussi bien que de partager, de donner comme de recevoir.

Pour sa part, l’expression "communauté culturelle" utilisée dans la définition des droits culturels, désigne une communauté ethnique, linguistique, religieuse, nationale, autochtone, mais aussi artistique, scientifique, d’habitation en de production : c’est une communauté de ressemblance dans un art de vivre et de penser. Le culturel garde ici sa généralité, car les individus ne sont pas enfermés et encore moins enfermables dans une seule sphère d’influence. Retour à la table des matières

C. Les sujets des droits culturels

Les sujets des droits culturels sont les individus et les communautés. Concernant les individus, il s’agit de toute personne aussi bien seule qu’en commun avec les autres membres de son groupe. Les droits culturels ici sont liés à l’exigence de conditions capables d’assurer à chaque individu la possibilité de développer à son plus haut degré son potentiel créateur, lequel est lié, entre autres, à la formation de sentiments esthétiques et à l’acquisition de connaissances permettant à l’esprit d’exercer son droit de critique.

À propos des communautés, nous avons vu qu’il peut s’agir d’une communauté ethnique, linguistique, religieuse, nationale, autochtone (minorité ou peuple), mais également artistique, scientifique, d’habitation, de production ou autre. Les droits culturels ici résident essentiellement dans le pouvoir de maintenir, faire renaître, développer et diffuser les valeurs propres à la communauté en question. Face aux sujets, le débiteur des droits culturels est principalement l’État. Toutefois, on peut citer dans d’autres cas aussi la famille, le groupe ou la communauté, l’idéal étant une opposabilité générale, à savoir la responsabilité de l’ensemble de la société, y compris, pourquoi pas, des entreprises.Retour à la table des matières

D. Le contenu des droits culturels

Les droits culturels se retrouvent dans de nombreux textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’examen de ses textes permet de distinguer des droits culturels individuels, des droits culturels collectifs, et l’entre-deux des droits culturels.

Plusieurs droits culturels, qu’on peut regrouper en deux catégories, appartiennent aux individus.

Premièrement, le droit à l’éducation, dans ses deux aspects de

- droit à l’éducation élémentaire et générale;

- droit à l’enseignement fonctionnel ainsi qu’à l’orientation et à la formation

professionnelles.

L’éducation a pour objectifs à la fois l’épanouissement de la personnalité (dimension individuelle) et le soutien à la compréhension, à la tolérance et à l’amitié entre les nations (dimension collective).

Deuxièmement, le droit de libre participation à la vie culturelle, ce qui comprend notamment,

- la liberté de pensée, de conscience et de religion ou conviction;

- la liberté d’opinion et d’expression;

- le droit de bénéficier du progrès scientifique et technique des actes;

- le droit à la propriété intellectuelle des oeuvres dont on est l’auteur.

Il est utile de rappeler ici que l’exercice de tous ces droits individuels peut-être fait par toute personne aussi bien seule qu’en commun avec les autres membres de son groupe. D’autre part, l’exercice de certains droits culturels individuels, comme le droit à l’éducation, exige même en plus du sujet le concours d’un ou de plusieurs autres individus. D’où l’importance du droit d’association, qui peut intervenir à tout moment dans l’exercice des droits.

Les droits culturels collectifs - le titulaire est la communauté - se répartissent eux aussi en deux catégories:

- le droit à l’autodétermination et au développement culturels (de tous les peuples en général et des peuples "dominés" en particulier), y compris en relation avec ses dimensions politiques, économiques et sociales;

- les droits des "groupes défavorisés" à la protection de leurs caractéristiques spécifiques (minorités, peuples autochtones ou indigènes, travailleurs migrants, réfugiés, étrangers dans le pays de résidence,...).

L’entre-deux des droits culturels est composé du droit culturel qui se situe à l’articulation entre les droits des individus et ceux des communautés. Il s’agit du droit individuel et en même temps collectif à l’identité culturelle, qui s’adresse à la fois à chaque être humain dans son individualité et à chaque communauté dans sa spécificité. Ce droit revêt deux expressions: à l’intérieur du sujet, il stimule la prise de conscience de la spécificité endogène: à l’extérieur du sujet, il contribue à la connaissance, à l’appréciation et à l’enrichissement mutuels des cultures. On retrouve les différents aspects de ce droit entre autres dans :

- le libre exercice d’une activité culturelle et, par exemple, de s’exprimer dans la langue de son choix;

- le libre accès à sa propre culture et à la connaissance des autres cultures;

- le libre accès aux moyens de communication et d’expression;

- la liberté de s’identifier ou non aux communautés culturelles de son choix et d’entretenir avec elles des relations sans considération de frontières.

Comme pour les autres droits culturels individuels, l’exercice pour un individu de tous ces aspects de l’identité culturelle peut se faire également en liaison avec le droit de s’associer librement avec d’autres individus.Retour à la table des matières

E. La mise en œuvre des droits culturels

De façon générale, il appartient aux États parties d’appliquer les conventions internationales relatives aux droits de l’homme. En outre, prévus par certaines conventions, des organes spécialisés ont été créés à seule fin de contrôler l’application desdites conventions par les États qui les ont ratifiées ou y ont adhéré. Par ailleurs, l’Assemblée générale, le Conseil économique et social et ses organes subsidiaires, notamment la Commission de droits de l’homme et la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, portent une grande attention à la surveillance de l’application des règles relatives aux droits de l’homme énoncées en particulier dans les conventions internationales.

En ce qui concerne spécialement les droits culturels, une place particulière doit être réservée à l’activité du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui surveille la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Depuis plusieurs années, le Comité prépare un projet de Protocole facultatif qui vise à l’autoriser à recevoir des plaintes individuelles en cas de violation d’un droit contenu dans le pacte. Si elle aboutit, une telle possibilité ne ferait que renforcer la protection des droits y compris culturels énoncés dans le Pacte Retour à la table des matières

Conclusion

Les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme proclament des droits culturels. Ces droits risquent de rester lettres mortes si ne sont pas créées les conditions politiques, économiques, sociales et autres nécessaires à leur réel exercice. Ceci ne peut être atteint que par une démocratisation de la culture, dans une double direction. D’une part, démocratisation des rapports entre les individus, afin d’abolir l’inégalité entre les êtres humains dans les chances d’accès au système d’éducation, aux biens culturels, aux institutions culturelles, c’est-à-dire à la culture, trop souvent monopolisée par l’élite. D’autre part, démocratisation des rapports entre les communautés, dans le but d’abolir l’inégalité entre les groupes en ce qui concerne les possibilités qui leur sont offertes d’exprimer librement leur identité culturelles propre. La démocratie serait donc au cœur des droits culturels.

SOURCES

Best, Francine (1990). Education, culture, droits de l’homme et compréhension internationale. Paris: UNESCO.

Bokatola, Isse Omanga (1992). L’Organisation des Nations Unies et la protection des minorités. Bruxelles: Bruylant.

Conférence mondiale sur les politiques culturelles. Mexico, 26 juillet- 6 août 1982. Rapport final. Paris: UNESCO, 1982.

Le Courrier de l’UNESCO. Juillet 1982 Paris, UNESCO, 1982.

Les droits culturels en tant que droits de l’homme. Paris: UNESCO, 1970.

Meyer - Bisch, Patrice (éditeur) (1983). Les droits culturels, une catégorie sous-développée de droits de l’homme. Fribourg: Éditions Universitaires.

Vasak, Karel (rédacteur général) (1978). Les dimensions internationales des droits de l’homme. Paris: UNESCO. Retour à la table des matières


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