Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
16ème session
Droits de lhomme et pluralisme culturel: Le défi dune éducation démocratique (suite 1)
Isse Omanga Bokatola, juriste.
Parler des droits culturels avant de traiter de la culture reviendrait à vouloir mettre la charrue devant les bufs. En effet, la question de la reconnaissance des droits culturels est dabord un problème culturel avant dêtre un problème juridique, politique ou autre. Ainsi, pas de droits culturels sans culture; en dautres termes, lexistence des droits culturels suppose en premier celle de la culture. Il est dès lors indispensable dessayer darrêter une définition du mot culture préalablement à la détermination des droits qui lobjectivent: il faut dabord définir la culture et ensuite soccuper des droits culturels.
Pour la plupart des êtres humains, le mot culture fait penser aux uvres artistiques, littéraires, philosophiques, scientifiques. Pour les spécialistes, le concept englobe ce sens restreint et davantage encore : la culture renvoie à tout ce quun individu acquiert en tant que membre dune société, à savoir, toutes les capacités et toutes les pratiques qui sapprennent par expérience ou par tradition, ainsi que tout lenvironnement matériel qui est produit par le groupe. La culture sexprime alors dans les uvres de lart et de la science, mais également dans lhabillement, la cuisine, larchitecture, le système de valeurs, la morale, les traditions, les croyances, léducation, les modes de vie, les langues, la nature des relations familiales et sociales, la vision du monde, lattitude vis-à-vis des étrangers, la conception du présent et de lavenir,... Cette liste nest pas exhaustive, elle indique seulement létendue et la complexité du contenu de la culture dans son acception la plus large.
La définition large de la culture rejoint celle qui a été adoptée par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (MONDIACULT) organisée par lUNESCO, à Mexico, en 1982. Ainsi, pour lUNESCO la culture est "lensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, entre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de lêtre humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances".
De la sorte, la culture dun peuple englobe la totalité de son cadre de référence existentiel et elle renferme toutes (ou presque) les réponses que ce peuple peut apporter face aux exigences de son cadre de vie : le premier devoir de lêtre humain est de vivre, et lune des principales fonctions de la culture est de permettre aux individus dassurer ou préserver leur existence ainsi que de perpétuer la vie.
Ainsi entendue, la culture désigne la conception que chaque peuple se fait de son monde et du monde. Dans ce cadre, pas de place à lidée que certains cultures puissent être supérieures ou inférieures à dautres en qualité ou en quantité, ce qui implique la reconnaissance de toutes les cultures et la prise en compte de la diversité et de légale dignité des cultures. Dans ce cadre également, la véritable culture "universelle" doit être le rassemblement de ce que les cultures "nationales" ont en commun, un élan, en quelque sorte, vers lunité spirituelle de lhomme; la culture "universelle" ne doit pas abolir la pluralité des cultures; ses rapports avec les cultures "nationales" doivent sexprimer dans la complémentarité, génératrice de la totalité humaine en mouvement. Retour à la table des matières
B. La définition des droits culturels
En général, la conception des droits de lhomme que se fait le commun des mortels provient de sa propre culture. Par ailleurs, il arrive que lon se serve de la culture pour relativiser ou même refuser des droits à la personne humaine, en remettant ainsi en question luniversalité de ces droits, et aucune région de monde néchappe à ce constat. On doit savoir que les cultures ne sont pas immuables et que les droits de lhomme peuvent être un moyen de les faire évoluer. Également, nul ne peut contester que chez tous les êtres humains et dans toutes les cultures, existe lexigence fondamentale que des droits sont dus à lindividu du simple fait quil est un être humain. Cest ce qui explique que le fondement de tout lédifice international des droits de lhomme soit lidée de la dignité et de légalité humaines (Déclaration universelle des droits de lhomme de l'homme de lONU), égale dignité de tous les êtres humains qui est à la base des droits qui leur sont reconnus sans aucune discrimination.
Lexamen des textes internationaux relatifs aux droits de lhomme, spécialement dans le cadre de lONU, montre que les droits culturels figurent en queue de la liste des catégories de droits accordés à lêtre humain: droits civils, politiques, économiques, sociaux et, enfin, culturels. Cependant, ces cinq espèces de droits concernent tout lindividu, dans ses différentes dimensions. Tous ces droits sont donc indivisibles, à limage de la personne humaine qui forme un tout.
Trop longtemps, les droits culturels sont restés les "parents pauvres" des droits de lhomme, les moins définis, peut-être du fait notamment que la culture qui sy rapporte est souvent considérée comme un "fourre-tout" hétéroclite, en tout cas une notion particulièrement insaisissable.
De plus en plus, les droits culturels en tant que droits de lhomme sont définis comme des droits reconnaissables à chacun, sans discrimination, de choisir les références de son identité culturelle, en fonction des diverses communautés et héritages culturels auxquels il se réfère librement. Les droits culturels sont donc à interpréter dans lindivisibilité de tous les droits de lhomme, ce qui, dune part, les garde de toute interprétation abusive et, dautre part, complète et précise la définition des droits de lhomme et libertés fondamentales reconnus.
Dans cette définition, le terme "culturel" recouvre toutes les dimensions de la culture: non seulement les arts, les sciences, les langues, les valeurs, mais aussi toutes les représentations et traditions déterminant les modes de vie. Il sagit déviter la confusion de bien des textes qui ajoutent ladjectif "culturel" a la fin dune énumération (artistique, scientifique et culturel par exemple).
Pour ce qui est de lidentité culturelle, cette notion est entendue ici à la fois en liaison avec lappartenance à des communautés culturelles particulières, et avec la référence aux valeurs universelles. Ce nest donc pas exclusivement une revendication particulariste du droit à la différence, mais aussi bien celle du droit à la ressemblance et à la non-discrimination. Lidentité culturelle a nécessairement ces deux faces. Cette situation est une manifestation de la tendance actuelle à définir lhumanité comme lensemble de tous les êtres humains, et à reconnaître à chacun le droit de créer aussi bien que de partager, de donner comme de recevoir.
Pour sa part, lexpression "communauté culturelle" utilisée dans la définition des droits culturels, désigne une communauté ethnique, linguistique, religieuse, nationale, autochtone, mais aussi artistique, scientifique, dhabitation en de production : cest une communauté de ressemblance dans un art de vivre et de penser. Le culturel garde ici sa généralité, car les individus ne sont pas enfermés et encore moins enfermables dans une seule sphère dinfluence. Retour à la table des matières
C. Les sujets des droits culturels
Les sujets des droits culturels sont les individus et les communautés. Concernant les individus, il sagit de toute personne aussi bien seule quen commun avec les autres membres de son groupe. Les droits culturels ici sont liés à lexigence de conditions capables dassurer à chaque individu la possibilité de développer à son plus haut degré son potentiel créateur, lequel est lié, entre autres, à la formation de sentiments esthétiques et à lacquisition de connaissances permettant à lesprit dexercer son droit de critique.
À propos des communautés, nous avons vu quil peut sagir dune communauté ethnique, linguistique, religieuse, nationale, autochtone (minorité ou peuple), mais également artistique, scientifique, dhabitation, de production ou autre. Les droits culturels ici résident essentiellement dans le pouvoir de maintenir, faire renaître, développer et diffuser les valeurs propres à la communauté en question. Face aux sujets, le débiteur des droits culturels est principalement lÉtat. Toutefois, on peut citer dans dautres cas aussi la famille, le groupe ou la communauté, lidéal étant une opposabilité générale, à savoir la responsabilité de lensemble de la société, y compris, pourquoi pas, des entreprises.Retour à la table des matières
D. Le contenu des droits culturels
Les droits culturels se retrouvent dans de nombreux textes internationaux relatifs aux droits de lhomme. Lexamen de ses textes permet de distinguer des droits culturels individuels, des droits culturels collectifs, et lentre-deux des droits culturels.
Plusieurs droits culturels, quon peut regrouper en deux catégories, appartiennent aux individus.
Premièrement, le droit à léducation, dans ses deux aspects de
- droit à léducation élémentaire et générale;
- droit à lenseignement fonctionnel ainsi quà lorientation et à la formation
professionnelles.
Léducation a pour objectifs à la fois lépanouissement de la personnalité (dimension individuelle) et le soutien à la compréhension, à la tolérance et à lamitié entre les nations (dimension collective).
Deuxièmement, le droit de libre participation à la vie culturelle, ce qui comprend notamment,
- la liberté de pensée, de conscience et de religion ou conviction;
- la liberté dopinion et dexpression;
- le droit de bénéficier du progrès scientifique et technique des actes;
- le droit à la propriété intellectuelle des oeuvres dont on est lauteur.
Il est utile de rappeler ici que lexercice de tous ces droits individuels peut-être fait par toute personne aussi bien seule quen commun avec les autres membres de son groupe. Dautre part, lexercice de certains droits culturels individuels, comme le droit à léducation, exige même en plus du sujet le concours dun ou de plusieurs autres individus. Doù limportance du droit dassociation, qui peut intervenir à tout moment dans lexercice des droits.
Les droits culturels collectifs - le titulaire est la communauté - se répartissent eux aussi en deux catégories:
- le droit à lautodétermination et au développement culturels (de tous les peuples en général et des peuples "dominés" en particulier), y compris en relation avec ses dimensions politiques, économiques et sociales;
- les droits des "groupes défavorisés" à la protection de leurs caractéristiques spécifiques (minorités, peuples autochtones ou indigènes, travailleurs migrants, réfugiés, étrangers dans le pays de résidence,...).
Lentre-deux des droits culturels est composé du droit culturel qui se situe à larticulation entre les droits des individus et ceux des communautés. Il sagit du droit individuel et en même temps collectif à lidentité culturelle, qui sadresse à la fois à chaque être humain dans son individualité et à chaque communauté dans sa spécificité. Ce droit revêt deux expressions: à lintérieur du sujet, il stimule la prise de conscience de la spécificité endogène: à lextérieur du sujet, il contribue à la connaissance, à lappréciation et à lenrichissement mutuels des cultures. On retrouve les différents aspects de ce droit entre autres dans :
- le libre exercice dune activité culturelle et, par exemple, de sexprimer dans la langue de son choix;
- le libre accès à sa propre culture et à la connaissance des autres cultures;
- le libre accès aux moyens de communication et dexpression;
- la liberté de sidentifier ou non aux communautés culturelles de son choix et dentretenir avec elles des relations sans considération de frontières.
Comme pour les autres droits culturels individuels, lexercice pour un individu de tous ces aspects de lidentité culturelle peut se faire également en liaison avec le droit de sassocier librement avec dautres individus.Retour à la table des matières
E. La mise en uvre des droits culturels
De façon générale, il appartient aux États parties dappliquer les conventions internationales relatives aux droits de lhomme. En outre, prévus par certaines conventions, des organes spécialisés ont été créés à seule fin de contrôler lapplication desdites conventions par les États qui les ont ratifiées ou y ont adhéré. Par ailleurs, lAssemblée générale, le Conseil économique et social et ses organes subsidiaires, notamment la Commission de droits de lhomme et la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, portent une grande attention à la surveillance de lapplication des règles relatives aux droits de lhomme énoncées en particulier dans les conventions internationales.
En ce qui concerne spécialement les droits culturels, une place particulière doit être réservée à lactivité du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui surveille la mise en uvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Depuis plusieurs années, le Comité prépare un projet de Protocole facultatif qui vise à lautoriser à recevoir des plaintes individuelles en cas de violation dun droit contenu dans le pacte. Si elle aboutit, une telle possibilité ne ferait que renforcer la protection des droits y compris culturels énoncés dans le Pacte Retour à la table des matières
Les textes internationaux relatifs aux droits de lhomme proclament des droits culturels. Ces droits risquent de rester lettres mortes si ne sont pas créées les conditions politiques, économiques, sociales et autres nécessaires à leur réel exercice. Ceci ne peut être atteint que par une démocratisation de la culture, dans une double direction. Dune part, démocratisation des rapports entre les individus, afin dabolir linégalité entre les êtres humains dans les chances daccès au système déducation, aux biens culturels, aux institutions culturelles, cest-à-dire à la culture, trop souvent monopolisée par lélite. Dautre part, démocratisation des rapports entre les communautés, dans le but dabolir linégalité entre les groupes en ce qui concerne les possibilités qui leur sont offertes dexprimer librement leur identité culturelles propre. La démocratie serait donc au cur des droits culturels.
SOURCES
Best, Francine (1990). Education, culture, droits de lhomme et compréhension internationale. Paris: UNESCO.
Bokatola, Isse Omanga (1992). LOrganisation des Nations Unies et la protection des minorités. Bruxelles: Bruylant.
Conférence mondiale sur les politiques culturelles. Mexico, 26 juillet- 6 août 1982. Rapport final. Paris: UNESCO, 1982.
Le Courrier de lUNESCO. Juillet 1982 Paris, UNESCO, 1982.
Les droits culturels en tant que droits de lhomme. Paris: UNESCO, 1970.
Meyer - Bisch, Patrice (éditeur) (1983). Les droits culturels, une catégorie sous-développée de droits de lhomme. Fribourg: Éditions Universitaires.
Vasak, Karel (rédacteur général) (1978). Les dimensions internationales des droits de lhomme. Paris: UNESCO. Retour à la table des matières
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