Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
Le droit à l'éducation : entre discours et réalités
par Jean Hénaire*
Porteuse despoirs, la Conférence mondiale de Jomtien (1990) traduisait la volonté dune éducation pour tous en lan 2000. Cet engagement na pas été tenu. Léchéance a été reportée à 2015. Pourra-t-on réunir toutes les conditions favorables pour que ce vu ambitieux se réalise ? Une compréhension du droit à léducation et des difficultés qui empêchent sa mise en uvre pleine et entière à léchelle mondiale peut aider à prendre la mesure des efforts quil reste à consentir pour en garantir luniversalité. Portadora de esperanza, la Conferencia Mundial de Jomtien (1990) traducía la voluntad de una educación para todos en el año 2000. Pero este compromiso no ha sido considerado y el plazo se extendió hasta el año 2015. ¿ Podrán reunirse las condiciones favorables para que este ambicioso deseo se realice ? El hecho de comprender el derecho a la educación y la dificultades que impiden su puesta en marcha a escala mundial, puede ayudar a calcular la magnitud de los esfuerzos pendientes para garantizarla. A bearer of hope, the Jomtien World Conference of 1990, expressed the willingness for education for all by the year 2000. This promise was not kept. The deadline was delayed until 2015. Will it be possible to achieve all the conditions necessary to achieve this ambitious objective ? A better understanding of the right to education and the difficulties that inhibit its full and complete implementation on a global scale can help measure the actions which still need to be agreed upon to ensure universality. |
La notion de droit à léducation en tant que droit international des droits de lhomme (1) apparaît pour la première fois, en 1948, à larticle 26 de la Déclaration universelle des droits de lhomme, adoptée par lAssemblée générale des Nations Unies le 10 décembre de la même année (2). Ce droit est réaffirmé, en 1960, dans la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement et, en 1966, dans la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant.
Cest 18 ans après ladoption de la DUDH que le contenu du droit à léducation est exposé en détail dans larticle 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (3) adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
Dix autres années sécouleront avant que ce Pacte nentre en vigueur, le 3 janvier 1976, conformément aux dispositions de l'article 27 qui stipule, notamment, que "ledit Pacte entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt par cet Etat de son instrument de ratification ou d'adhésion."
Larticle 26 de la DUDH et larticle 13 du Pacte affirment le droit à léducation pour toute personne indépendamment de son âge. La Convention relative aux droits de lenfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, stipule, en son article 28, que les États parties reconnaissent le droit spécifique de lenfant à léducation (4).
Les travaux du Comité des droits économiques et sociaux de lONU en matière de droit à Les travaux du Comité des droits économiques et sociaux de lONU en matière de droit à léducation permettent de voir sous quels angles lorganisation cinquantenaire envisage cette question. Ce qui est intéressant pour nous, cest dessayer de comprendre comment ce droit à léducation est interprété dans ses multiples dimensions afin de pouvoir par la suite examiner les questions que ces dernières soulèvent. Pour établir sa position en cette matière, le Comité fait appel à des experts dont les contributions alimentent les travaux. Cest dans cette perspective que le Comité prit connaissance dun essai de définition du droit à léducation que lauteur, Paul Hunt (5), présente ainsi:
"Léducation est à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de lexercice des autres droits inhérents à la personne humaine. En tant que droit qui concourt à lautonomisation de lindividu, léducation est le principal outil qui permet à des adultes et à des enfants économiquement et socialement marginalisés de sortir de la pauvreté et dobtenir le moyen de participer pleinement à la vie de leur communauté. Léducation joue un rôle majeur, quil sagisse de la responsabilisation des femmes, de la protection des enfants contre lexploitation de leur travail, lexercice dun travail dangereux ou lexploitation sexuelle, de la promotion des droits de lhomme, de la préservation de lenvironnement ou encore de la maîtrise de laccroissement de la population. Léducation est de plus en plus réputée être un des meilleurs investissements financiers pour les États, mais son importance ne tient pas uniquement aux conséquences quelle a sur le plan pratique et aux possibilités quelle offre. Une tête bien pleine, un esprit actif [dans la version originelle anglaise, on lit : "A well-stocked and active mind", ce qui équivaudrait plutôt à dire : "une tête bien faite"] capable de vagabonder librement est une des joies et des récompenses de lexistence. "
De cette définition se dégagent des éléments de contenus utiles en vue didentifier les principales composantes du droit à léducation. Nous les présentons de la manière qui suit.
- Le développement personnel et social de lindividu
Le droit à léducation "concourt à lautonomisation de lindividu", cest-à-dire de la personne humaine dans sa singularité. LÉcole, en tant quinstitution sociale, doit en même temps "éduquer le sujet" à ses rôles sociaux définis à laune des droits et des obligations dans une société démocratique. Lépanouissement de la personne dans le groupe la compatibilité des intérêts personnels aux exigences de la vie en société. Lapprentissage des conduites sociales rend possible la construction de la vie collective.
- Lapprentissage scolaire de la démocratie
Pour peu quelle se définisse comme démocratique, une société institue des normes qui protègent lindividu, un groupe ou une catégorie de personnes de larbitraire. Dans cette optique, léducation se présente comme un levier dapprentissage de la démocratie et ce, dans au moins deux registres. Le premier concerne la vie de lécole proprement dite, avec sa capacité dinstaurer et de cultiver le dialogue, de permettre la prise de parole, déduquer au sens critique. Le second exprime la volonté dinscrire dans les contenus de lenseignement des savoirs et de construire des compétences qui préparent lapprenant à sopposer à linjustice (discrimination à légard des femmes, exploitation des enfants,
) et de cultiver le sens de la responsabilité sociale (préservation de lenvironnement,
).
- Légalité des chances
Paul Hunt écrit que "léducation est le principal outil qui permet à des adultes et à des enfants économiquement et socialement marginalisés de sortir de la pauvreté et dobtenir le moyen de participer pleinement à la vie de leur communauté." À un premier niveau dinterprétation, cette définition sinspire du discours sur légalité des chances entendu ici comme une intention visant laccès à tous et à toutes à la scolarisation. Il sagit dune égalité de départ, cest-à-dire, à partir de linscription à lécole dès le plus bas âge. Elle ne dispose cependant pas des aléas de parcours induits par la disparité des conditions économiques, culturelles et sociales des individus et des catégories vulnérables de personnes (femmes, minorités, enfants pauvres,
). Les indicateurs actuellement disponibles sur, entre autres, le taux comparé de persévérance scolaire des filles et des garçons est révélateur de la persistance des inégalités socio-scolaires selon le sexe. À un deuxième niveau dinterprétation, la question de légalité des chances peut sinscrire dans le débat sur la différenciation des parcours de formation et de la qualité de lencadrement éducatif. À cet égard, les valeurs familiales, la qualité de la formation des enseignants, les pratiques de gestion et les objectifs des politiques éducatives sont au nombre des variables qui déterminent les orientations éducatives et tracent la portée et la limite de lapplication effective du droit à léducation.
- La rentabilité économique
Il est fréquent de lire que "Léducation est de plus en plus réputée être un des meilleurs investissements financiers pour les États". À cet égard, les nouvelles attentes en éducation sont émaillées dappels à la rentabilisation du système et à la meilleure adéquation possible entre la formation dispensée et les impératifs de léconomie. La popularité grandissante dune éducation basée sur lapproche par compétences, les "bonnes pratiques" et linnovation en témoignent dans la mesure où toutes ces expressions émanent à lorigine du vocabulaire de lentreprise. Certes, les efforts consentis par des États en vue de réduire léchec scolaire par des formations professionnelles adaptées à la demande peuvent être perçus comme autant defforts pour réduire lexclusion sociale et favoriser à la fois le développement économique. Le débat reste néanmoins ouvert pour ce qui est de démarquer les "frontières" dune professionnalisation de la formation un autre terme à la mode -avant que celle-ci ne conduise tout simplement à linstrumentalisation des savoirs scolaires et à la marchandisation de la formation (6).
- La qualité de léducation
Paul Hunt prend le soin dajouter que limportance de léducation ne se résume pas en la possibilité de meilleurs investissements financiers pour les États ("mais son importance [à léducation] ne tient pas uniquement aux conséquences quelle a sur le plan pratique et aux possibilités quelle offre."). En effet, lauteur ajoute : "Une tête bien pleine, un esprit actif capable de vagabonder librement est une des joies et des récompenses de lexistence." En effet, le droit à léducation ne peut se résumer à une vision marchande de laccès à la scolarisation. La question qui se pose dès lors est celle du choix des finalités de léducation.
Les quelques éléments constitutifs que nous venons didentifier et de décrire brièvement sapparentent à de grandes positions de principes directeurs énoncés dans les politiques éducatives de nombreux pays. Ils traduisent lévolution de conceptions de léducation, mais aussi la présence dun discours politique emprunt de convictions démocratiques. Néanmoins, de nombreux faits documentés montrent que la reconnaissance du droit à léducation ne saccompagne pas toujours, loin de là, de sa réalisation. Examinons-en quelques-uns.
- La condition sociale
Dans une Lettre dinformation de lInstitut international de planification de léducation (IIPE,Unesco), J.C. Tedesco écrit ce qui suit: "Il est reconnu que les conditions de vie des élèves ont une incidence déterminante sur le niveau scolaire. Toutes les conclusions relatives aux connaissances acquises saccordent sur le fait que les résultats scolaires sont dépendants du statut social et du bien-être de la famille. Cependant, les mêmes recherches attirent lattention sur un autre phénomène moins apparent à savoir que les changements institutionnels et pédagogiques sont sans effet sur les résultats des élèves qui vivent en dessous du seuil de pauvreté." (7) Cette affirmation est corroborée par de nombreuses études et travaux de recherche sur la reproduction sociale et les déterminants sociaux de la culture scolaire. Par ailleurs, lÉcole ne peut à elle seule être considérée comme lunique "responsable" de labandon et de léches scolaires des couches les plus défavorisées ; si des mesures daccueil et de soutien aux enfants pauvres ou issus de minorités culturelles vulnérables favorisent une meilleure intégration scolaire, elles ne peuvent, en revanche, disposer des difficultés éprouvées par les familles, qui débordent largement le champ de compétence et dintervention de linstitution scolaire.
- Linégal accès à lenseignement
Dans son Projet dobservation générale concernant larticle 13 du Pacte, Paul Hunt (supra), résume ainsi la situation : "Le Comité nest pas sans savoir que pour des millions de personnes à travers le monde, lexercice du droit à léducation demeure un objectif lointain qui, de surcroît, dans de nombreux cas, séloigne de plus en plus. Le Comité est par ailleurs conscient des immenses obstacles structurels et autres qui empêchent lapplication intégrale de larticle 13."
Dans son Rapport annuel 1999 consacré au droit à léducation, lUNICEF rappelle qu"Un an avant l'an 2000, près d'un milliard d'habitants de la planète ne savent ni lire ni même écrire leur nom - et encore moins remplir un simple formulaire ou se servir d'un ordinateur. Un milliard de personnes continueront de vivre en plus mauvaise santé et dans une pauvreté plus désespérée encore que la plupart de ceux qui ont appris à lire et à écrire. Ce sont les "analphabètes fonctionnels", dont le nombre va aujourd'hui croissant." Et les auteurs du rapport dajouter : "Garantir le droit à l'éducation est une question d'équité, de justice et d'économie." (8)
Selon des données statistiques fournies par lUNESCO pour lannée 1996, les taux nets dinscription dans le premier degré révèlent encore une fois le décalage entre les pays riches et les pays pauvres. Alors que ces taux atteignent pratiquement les 100% au sein des pays membres de lOCDE, ceux-ci chutent significativement pour ce qui est de lAfrique de lOuest en particulier, surtout chez les filles : Bénin (78%G et 46%F), Tchad (66%G et 37%F), Côte dIvoire ( 63%G et 47%F), Djibouti ( 36%G et 27%F), Mali (32%G et 21%F), etc. (9) Les chiffres sont aussi éloquents lorsque lon compare lévolution dans le temps de lindice despérance de vie scolaire. En 1990, au Canada, cet indice atteignait les 16 années. En 1996, cet indice était de 2.3 au Niger soit le même quen 1990, avec 1.7 année despérance de vie scolaire pour les filles. Pour ce qui est du taux dencadrement (10), cest-à-dire le rapport élèves/maîtres, celui-ci était, en 1990, pour le primaire, de 57/1 au Burkina Faso ( 50/1 en 1996), de 39.9/1 en Guinée ( 49.2/1 en 1996), de 57.4/1 au Rwanda ( 58.3/1 en 1996) ; pour les mêmes années, ce taux dencadrement était, par exemple, de 17.7/1 en Allemagne (1990 et 1996), de 10.3/1 au Danemark (10.1/1 en 1996 ; ce taux avoisine ou dépasse les 30./1 dans plusieurs pays dAmérique latine et des Antilles (Chili, El Salvador, Équateur, Haïti, Honduras, Nicaragua, République dominicaine, Pérou ainsi que le Mexique). Ces chiffres ne sont que des moyennes indicatives. Ils ne témoignent pas de réalités extrêmes, pourtant bien réelles, quotidiennes et nombreuses.
Par ailleurs, labsence de recensement systématique des populations dans plusieurs pays représente un obstacle important à laccès universel à léducation, notamment lenseignement primaire. Sans portraits statistiques des populations, sans carte scolaire, aucun diagnostic précis ne peut être posé. Dans cet ordre desprit, la Rapporteuse spéciale sur le droit à léducation, Katarina Tomasevski, se disait "particulièrement préoccupée par le manque persistant dinformations concernant le nombre denfants qui devraient être scolarisés mais ne le sont pas [
]. On ne connaît pas les chiffres exacts, du fait que les derniers recensements de populations ont eu lieu dans certains pays il y a plus de 15 ans et que lenregistrement systématique des enfants à la naissance, obligatoire en vertu de la Convention relative aux droits de lenfant ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nest pas encore une réalité." (11)
- Les frais de scolarité
Citant un document récent de la Banque mondiale (Education Sector Strategy, 1999), K. Tomasevski (supra) observe que rien nest dit au sujet de lobligation des pays emprunteurs dassurer à tous les enfants dâge scolaire un enseignement primaire obligatoire et gratuit. La Rapporteuse spéciale fait observer que "La mobilisation internationale en faveur dun "ajustement à visage humain" [
], sest traduite par une adhésion générale au principe selon lequel il fallait protéger lenseignement primaire des coupes budgétaires, mais [
] quon na pas fait suffisamment pour que les frais de scolarité soient effectivement supprimés, conformément aux obligations du droit international en matière de droits de lhomme." Dans les pays pauvres, laide aux familles démunies demeure problématique dautant quelles doivent, pour plusieurs, participer au financement de la scolarité de leurs enfants par limposition de frais décolage, ce qui représente souvent des coûts prohibitifs auxquels viennent sajouter ceux entraînés par le ramassage scolaire soumis à la hausse du prix du carburant ce qui, sporadiquement, provoquent ça et là des protestations souvent réprimées avec violence.
Si labsence de gratuité scolaire a dabord et avant tout un impact considérable sur laccès à lenseignement des enfants touchés par la grande pauvreté des pays les moins avancés, limposition de frais afférents à la scolarité obligatoire commence par ailleurs à peser lourd sur le budget des parents pauvres de pays développés. Ainsi, comme le faisait remarquer la Centrale de lenseignement du Québec dans un mémoire rédigé en 1997, "S'il est un élément essentiel pour assurer l'égalité des chances, c'est bien celui de la gratuité scolaire. Déjà, plusieurs écoles au Québec peuvent difficilement mettre à la disposition de tous leurs élèves les manuels scolaires nécessaires à leur utilisation adéquate. D'autres établissements scolaires exigent des frais de plus en plus élevés pour des projets spéciaux qui ne sont pas à la portée de la majorité des familles." (12)
- Léconomisme ambiant
Selon la Conférence des ministres de léducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN), "les mesures prises dans le cadre des Programmes dAjustement Structurel se sont traduites [dans les pays africains] dans le secteur de léducation par un gel des budgets de léducation, la privatisation, linstitution des classes à double flux." (13) Dans une publication récente, lOrganisation internationale du travail (OIT) se demandait si elle pouvait maintenir dans un cadre volontaire, "le cercle vertueux dune " émulation " en faveur du progrès social dans une situation où mondialisation de léconomie et renforcement de la concurrence conjuguent leurs effets dans le sens contraire." (14)
La logique de léconomie de marché soutient que les élèves représentent un capital humain à rentabiliser par lexploitation des compétences quils auront acquises au terme de leurs études. Ce capital devient la clé du développement et de la croissance économiques des sociétés dites "cognitives" inscrites dans ce quil est convenu dappeler la "nouvelle économie" elle-même impulsée par les nouvelles technologies de linformation et de la communication. Dans ce schéma, lessor économique anticipé issu de la rentabilisation des compétences de lindividu soumis aux lois du marché sont désormais les garants de la prospérité annoncée dopée au libéralisme. Selon K. Tomasevski (supra), "Lapproche axée sur le capital humain nenvisage léducation que sous langle des connaissances, compétences et qualifications ayant un intérêt économique, au détriment des droits de lhomme." La Rapporteuse spéciale ajoute que "Cette vue réductrice empêche de définir léducation en termes de développement global de la personnalité, sapant les fondements dune éducation fondée sur les droits de lhomme selon laquelle les enseignants apprendraient à partager leurs connaissances plutôt quà les commercialiser et à coopérer plutôt quà se faire concurrence."
- Les contenus de léducation, pratiques et valeurs
Laccès à léducation pour tous demeure une priorité à léchelle mondiale. Cette première condition essentielle à la démocratisation de lenseignement ne dispose cependant pas de ce qui sapprend à lécole ni comment on lapprend. Des contenus biaisés par des représentations ethnocentristes ou des modèles dinculcation des savoirs cultivant la concurrence ou sappuyant sur la menace de sanctions ne correspondent pas à lesprit du droit à léducation pour ce qui est de former des êtres libres et responsables.
Dans son mémoire déposé au Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels (supra), lEIP faisait observer "quen vertu de larticle 13 les États sont non seulement tenus de veiller à expurger les manuels scolaires et autres ou matériels pédagogiques et didactiques qui sont utilisés dans les établissements des stéréotypes racistes, ethnicistes ou sexistes ou tous autres éléments attentatoires aux droits de lhomme quils contiennent mais quen plus, ils sont tenus de faire en sorte que les contenus de ces manuels et autres outils aillent dans le sens des objectifs et buts prévus par larticle 13 tel quil est actualisé par le Comité et quils doivent intégrer cette dimension dans les rapports quils soumettent au Comité." (15)
Sagissant des pratiques et des valeurs, V. Truchot (16) souligne à juste titre que "L'on doit reconnaître que la relation maître-élève induit dans son essence même une inégalité de statut; mais l'élève demeure en tout temps l'égal de l'enseignant en matière de droits fondamentaux." Selon lauteure, si les comportements directifs vont de pair avec l'institution, il ne faut pas perdre de vue que l'école doit former des êtres libres, responsables et soucieux de la justice. Dès lors, ajoute-t-elle, l'on attend de l'établissement scolaire qu'il soit un lieu d'apprentissage de la liberté, et donc de la responsabilité. Ainsi, le droit à léducation nest pas seulement lexpression dune massification accomplie, mais aussi le reflet de valeurs exprimant le désir de voir lindividu se construire librement (17).
- La qualité malmenée
Comme le souligne lUNICEF (supra) : " [
], il ne suffit pas de s'assurer que les enfants vont à l'école. Encore faut-il se soucier de la qualité de l'enseignement qu'ils reçoivent. Faut-il revenir ici à la métaphore de Célestin Freinet ? Celui-ci nhésitait pas à qualifier la formation donnée aux enfants de son époque de "pédagogie de lescalier", cest-à-dire celle qui consiste à faire gravir aux élèves les marches une par une la tête baissée. À ce que lon sache, nombreux sont encore aujourdhui les enfants soumis à des pratiques pédagogiques autoritaires, à des évaluations punitives et aux châtiments corporels. Persistants aussi sont des contenus denseignement discriminatoires, émaillés de stéréotypes sexistes et dexaltations nationalistes. À ces problèmes bien réels, sajoute linégale formation des quelque 60 millions denseignants dans le monde et de ses effets sur la qualité de lenseignement offert (18).
La qualité sévalue également par le degré des compétences acquises. Même dans les pays développés où le taux de scolarisation pour léducation primaire et secondaire atteint presque les cent pour cent, 15 à 20 pour cent des élèves de plusieurs de ces pays quittent lécole sans avoir les compétences de base leur permettant de se trouver un emploi, sans compter ceux qui abandonnent lécole avant la fin de leur scolarité obligatoire. Selon lorganisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) (19), ces personnes deviennent de bons candidats à lexclusion sociale.
- Des indicateurs imprécis
Dans son mémoire déposé auprès de ce même Comité, en décembre 1999, lAssociation mondiale pour lécole instrument de paix (EIP, supra)) faisait remarquer que "La situation en la matière est dautant plus à déplorer que les moyens dont sest dotée la communauté internationale sont dérisoires. Faisant partie des "mal aimés" des droits de lhomme, cest-à-dire les droits économiques, sociaux et culturels, le droit à léducation a été conçu dune manière qui laisse aux États une grande marge dappréciation dans sa mise en oeuvre quels que soient par ailleurs les efforts méritoires du Comité pour en améliorer lexigibilité. Cest ensuite un droit pour la revendication duquel aucun recours na été prévu. Il subit de ce fait et de plein fouet les restrictions économiques liées à une libéralisation sauvage."
Larticle 13 du Pacte prévoit notamment que "Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte [
]. " Selon Paul Hunt, cette formulation comporte des notions et des expressions imprécises et permet aux États de tenir un discours à géométrie variable (20). Pour cette raison il importe de construire des indicateurs efficaces du droit à léducation permettant de contrôler lacquittement par les États de leurs obligations. Des indicateurs dordre quantitatif, certes, mais aussi qualitatifs qui permettent dévaluer les niveaux de compétences acquises (21), le niveau de formation des enseignants et les valeurs de léducation par rapport à celles affirmées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de lhomme.
- Des pratiques évaluatives discutables
Les systèmes éducatifs ont ceci en commun que leur modèle de performance est directement tributaire du succès scolaire. Celui-ci est déterminé par la réussite aux examens, condition essentielle de promotion sociale et daccès à des niveaux supérieurs denseignement. La réussite scolaire est aussi le résultat dun processus de sélection qui départage les forts des faibles et qui, à terme, fait que des élèves réussissent et que dautres échouent. Cette conception de lévaluation a pourtant bien du mal à se justifier quand il est question de lappliquer à des apprenants dont les premiers besoins, dès lentrée à lécole, est de lordre du rattrapage et de laide soutenu aux apprentissages.
Sans nier aucunement que lévaluation soit un acte éducatif en soi, il convient cependant de sinterroger sur le fait que ses dérives autoritaires en font un puissant levier de relégation et dexclusion sociales. Lévaluateur possède un tel pouvoir que les conséquences de son jugement peut décider de lavenir dun enfant. Cest un pouvoir, écrit F. Burton (22), quon utilise avec parcimonie lorsquon est préoccupé par lobjectif daide à lapprentissage, mais quon peut aussi utiliser à la manière dun dictateur si lon est avant tout assoiffé de pouvoir. Un tel abus de lautorité se fait dailleurs en marge de toute protection juridique de lenfant, les tribunaux estimant que lévaluation est de la seule compétence académique des établissements denseignement.
Lévaluation est de loin davantage quun moyen de classement des élèves. Elle devrait être dabord un outil de remédiation pour pallier les lacunes observées au cours des apprentissages, mais un dans esprit de dialogue qui permet aux apprenants de réfléchir, avec les enseignants, sur les moyens daméliorer les résultats obtenus. Cela est possible lorsque lévaluation perd de son caractère punitif et que la réussite de lun nentraîne pas léchec de lautre.
Le droit à léducation pour tous demeure encore aujourdhui davantage une aspiration quune réalité. De nombreuses démarches ont cependant été entreprises afin de réduire le fossé entre ceux qui bénéficient de léducation et ceux qui en sont privés. Il en a résulté dheureuses initiatives qui ont permis à des enfants davoir accès à léducation et les publications de lUnicef constituent un bon témoignage des efforts consentis à ce jour dans ce domaine. Mais cette note despoir ne dispose pas du fait que léducation demeure à ce jour une des parentes pauvres des droits de lhomme et cela, en dépit des affirmations répétées selon lesquelles léducation est un bien collectif qui doit être accessible à tous (23).
Plusieurs causes peuvent expliquer la situation problématique du droit à léducation dans le monde actuel, quil sagisse des conflits armés, du sous-développement, de la précarité des conditions sanitaires, de la malnutrition, etc. Ces causes sont complexes et interagissent les uns avec les autres dans des contextes sociaux, politiques, économiques au demeurant fort différents à léchelle planétaire. Ajoutons surtout que ces causes sont non seulement connues, mais que des solutions aux problèmes quelles entraînent le sont également. À cet égard, lUnicef écrivait récemment que des expériences récentes montrent pourtant que des ressources peuvent être dégagées avec célérité si le besoin semble assez urgent. Et ce nest pas sans ironie que le Fonds des Nations Unies pour lenfance rappelait que lorsque l'économie s'est effondrée en Indonésie, en République de Corée et en Thaïlande en 1997-1998, le G7 a réussi en quelques mois seulement à mobiliser plus de 100 milliards de dollars pour porter secours aux "tigres" financiers de l'Asie. Et lUnicef de conclure : "Imaginez ce que de telles ressources feraient pour l'éducation." (24)
Mais nous savons que la volonté politique nest pas toujours au rendez-vous. Dès lors, le fait de parler du droit à léducation en tant que bien commun de lhumanité peut paraître sinon illusoire, du moins hors de portée pour encore un certain temps si, de surcroît, les États membres de lONU ne sen préoccupent pas davantage (25). Par ailleurs, les travaux amorcés au sein du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels paraissent témoigner defforts prometteurs parce quils indiquent une volonté de dépasser les constats dimpuissance, de documenter davantage la problématique de droit à léducation et de raffermir les mécanismes de surveillance de lapplication de ce même droit. Cela ne peut que contribuer à son renforcement.
Il faut, dautre part, inscrire le droit à léducation dans un contexte mondial où la privatisation de léducation est à lordre du jour. Des formations à distance sur lInternet proposées par des entreprises privées ne sont accessibles quà ceux qui ont les moyens de se les offrir. Si, de plus en plus, ces formations accentuaient le décalage entre ceux qui disposent des moyens technologiques et ceux qui en sont privés, nous en arriverions à reproduire autrement les inégalités qui empêchent aujourdhui laccès de tous à léducation. Dans cette perspective, il ny a pas lieu dêtre très optimiste pour linstant face à limpact positif que le marché pourrait avoir sur la réalisation du droit à léducation. Le renforcement de la participation démocratique à tous les échelons de la vie en société demeure de loin la meilleure condition pour vaincre lignorance que la marchandisation du savoir.
Nous venons de le voir brièvement : le droit à léducation pour tous demeure encore aujourdhui davantage une aspiration quune réalité. Pour expliquer cet état de fait, nous avons identifié un certain nombre dobstacles qui privent des millions de personnes de ce droit. De nombreuses démarches ont cependant été entreprises afin de réduire le fossé entre ceux qui bénéficient de léducation et ceux qui en sont privés à cause de facteurs souvent dramatiques qui portent atteinte à la dignité humaine. Il en a résulté dheureuses initiatives qui ont permis à des enfants pauvres davoir accès à léducation et à cet égard, les publications de lUnicef en constituent un bon témoignage. Mais ces quelques réussites ne disposent pas du fait que léducation demeure à ce jour une des parentes pauvres du bien commun de lhumanité et cela, en dépit des affirmations répétées selon lesquelles léducation est un bien collectif qui doit être accessible à tous (26).
La notion de bien commun de lhumanité renvoie à la volonté de partage et de préservation de la mémoire du genre humain. Elle exprime un choix de valeurs consenties au nom de lintérêt général sans que celui-ci ait des effets préjudiciables sur la liberté de la personne (27). Léducation pour tous est la porte ouverte au bien-être de lesprit et du corps Lesprit affranchi du joug de lignorance, le savoir en tant que gage démancipation et de prospérité, voilà pourtant de nobles aspirations qui mériteraient bien dêtre inscrites au nombre celles qui militent en faveur de la qualité de la vie sur terre. Quelles peuvent bien être les raisons qui y font obstacle ?
Comme nous lavons dit plus haut, plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation problématique du droit à léducation dans le monde actuel. Ces facteurs sont complexes et interagissent les uns avec les autres dans des contextes sociaux, politiques, économiques au demeurant fort différents à léchelle planétaire. Néanmoins, plusieurs de ces facteurs sont connus et ont été maintes fois soulignés dans des travaux scientifiques, lors de rencontres internationales et par nombre dONG. Le problème demeure toutefois entier.
Il ne suffit uniquement pas de connaître les raisons qui expliquent pourquoi le droit à léducation présente un portrait aussi contrasté dans le monde. Il faut également trouver les moyens dinverser les perspectives. De ce côté, nous savons aussi que la volonté politique nest pas toujours au rendez-vous; celle-ci paraît de plus en plus inféodée aux grands marchés, qui sont surtout intéressés à rentabiliser à court terme leurs investissement dans la production de cerveaux dont ils ont besoin pour faire prospérer leurs entreprises.
Les intérêts à courte vue rétrécissent le champ de vision et annulent bien des efforts consentis pour assurer luniversalité des services éducatifs. Dans ce contexte, le fait de parler de bien commun de lhumanité peut paraître sinon illusoire du moins hors de portée pour encore un certain temps. LONU, en dépit des bonnes intentions qui semblent lanimer, se trouve relativement incapable de dépasser le stade des déclarations dintention. Sagissant dactions tangibles, le Secrétaire général des Nations Unies reconnaissait lui-même récemment une certaine impuissance à donner une impulsion concrète à la Déclaration universelle des droits de lhomme: "Oui, - disait-il - la Déclaration constitue notre proclamation commune des droits de l'homme mais malheureusement, il lui reste encore à devenir notre appel commun à l'action. Des violations des droits de l'homme restent une réalité largement répandue que nous n'avons pas pu - et dans certains cas pas voulu éradiquer." (28)
Pour sa part, Maurice Bertrand explique que "contrairement à tous les autres éléments du réseau public et privé de relations internationales, lONU na pas été instituée pour répondre à des besoins précis et concrets. Elle est seulement chargée de répondre à un rêve." (29). Si parfois les rêves peuvent mobiliser, leur réalisation demande des engagements fermes et des moyens daction de manière à dépasser le niveau du discours. Il en va tout autant pour que léducation soit un jour reconnue comme un bien commun de lhumanité. Or, souligne un responsable de lUnesco, "Les Nations Unies n'ont ni le mandat ni les moyens d'imposer un bien commun mondial. Elles sont dominées par un conseil de sécurité qui représente avant tout les intérêts "sacrés" de certains États membres." (30)
Ces critiques sont bien connues et ne sont pas dénuées de fondement. Par ailleurs, les travaux amorcés au sein du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels paraissent témoigner defforts prometteurs parce quils indiquent une volonté de dépasser les constats dimpuissance et dinstrumenter davantage la problématique de droit à léducation et de raffermir les mécanismes de surveillance de lapplication de ce même droit. Cela ne peut que contribuer à la reconnaissance à terme de léducation vue comme bien commun.
La notion de bien commun relève dun débat qui concerne la philosophie politique. Elle implique une réflexion sur les finalités dun État démocratique, de sa conception de la justice et du pouvoir de décision conféré aux citoyens par le biais des lois, des réglementations et des dispositifs de participation mis à la disposition de ceux-ci. Elle suppose ainsi la construction de repères éthiques dans les relations quentretiennent les citoyens et leurs représentants dans le respect des règles du jeu qui en découlent. Cette base constitue en soi un projet de société civile capable darticuler des actions fondées sur légalité en droits de tous les citoyens sans distinction. Il sagit là dun point de départ pour que les individus et les gouvernements se saisissent de la question du bien commun et que cette dynamique se reflète au sein des organisations internationales.
Il faut par ailleurs considérer cette notion de bien commun comme un but à atteindre dans un contexte mondial où léducation en tant que telle tend à prendre des formes qui échappent au contrôle des autorités publiques. Des formations à distance sur lInternet proposées par des entreprises privées ne sont accessibles quà ceux qui ont les moyens de se les offrir. Si de plus en plus ces formations accentuaient le décalage entre ceux qui disposent des moyens technologiques et ceux qui en sont privés, nous en arriverions à reproduire autrement les inégalités qui empêchent aujourdhui laccès à tous à léducation. Dans cette perspective, il ne suffira pas dans lavenir dexiger des États quils tiennent leurs engagements, il faudra désormais compter avec les grandes entreprises sans être trop optimiste pour linstant sur limpact positif quelles pourraient avoir sur la réalisation du droit à léducation.
Jean Hénaire est diplômé en pédagogie, en lettres et en sciences de léducation. Il est analyste des systèmes scolaires comparés et de la prospective en éducation.
Jean Hénaire es diplomado en Pedagogía, en Letras y Ciencias de la Educación, es analista de sistemas escolares comparados y de la prospección en la educación.
Jean Hénaire holds degrees in pedagogy, literature and education. He is an analyst of comparative scholastic systems and trends in education.
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