Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix


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Les droits de l’homme:des repères fondateurs pour une éducation à la citoyenneté démocratique (suite)

Par Yves Lador

Un contenu spécifique
Le fondement (1948)
Le caractère spécifique du droit international des droits de l'homme: l'action des individus
Une ambition modeste
Une démarche en mouvement

Connaître les droits
Droits de l'homme et éducation
Le droit à l'éducation
L'éducation aux droits de l'homme: une composante de l'éducation
Principes et valeurs
Dignité, liberté, réciprocité, sécurité de la personne, respect

Règles explicites, existence de recours
Climat démocratique, participation, accès à l'information, liberté d'expression

 

III. Droits de l'homme et éducation: pour un mieux-vivre ensemble

 

Connaître les droits

D'un point de vue pédagogique, le fait que les droits de l'homme définis depuis 1948 soient avant tout la traduction en droit positif de droits naturels est très important. À cet égard, rappelons que la littérature pédagogique mentionne souvent la grande sensibilité des écoliers, des élèves ou des étudiants face à leurs droits, à l'injustice de même qu' aux questions de justice en général(5).

L'enseignant se trouve au coeur de cette relation droits naturels-droits positifs. La revendication de droits naturels puise dans le sens commun de la société la reconnaissance de ces droits, qui devraient être accordés d'évidence. Chacun peut donc en discuter. Soumettre ces évidences à la discussion permet, d'ailleurs, de voir que celles-ci ne sont pas les mêmes pour tous. Par ses origines, sa culture familiale, entre autres, chaque élève est porteur de représentations à la base de sa conception du monde. Les notions de respect, de dignité, d'individualité, pour ne prendre que celles-ci, ouvrent de larges débats sur les valeurs.

Les instruments de protection des droits de l'homme fournissent des repères solide pour voir ce qui est garanti dans les faits et comment cela est garanti. Car dans ce processus de "dire le droit" et d’élaborer des procédures d’application, ce qui pourrait se limiter à de simples questions abstraites s’enracine dans la réalité, même quand cela se fait imparfaitement. L'éducation aux droits de l'homme, au-delà d'un grand débat sur les valeurs morales de la société, se doit donc de permettre à l'étudiant de connaître ces droits, de comprendre comment ils fonctionnent, quelles en sont les prémisses, quels sont leur développement, quelles sont les voies et moyens d'assurer leur respect réel.

 

Droits de l'homme et éducation

En présentant la position cruciale dans laquelle se trouve l'enseignant, en matière d'éducation aux droits de l'homme, nous en venons naturellement aux liens plus larges entre droits de l'homme et éducation. Le respect des droits de l'homme engendre, bien entendu, plusieurs conséquences dans le domaine de l'éducation.

 

Le droit à l'éducation

Le premier lien qui apparaît avec évidence est fondateur pour l'éducation en général, puisque c'est celui du droit à l'éducation. La Déclaration universelle le proclame clairement dans son article 26: "Toute personne a droit à l'éducation". Mais elle précise que "L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite". Enfin, cet article stipule que "L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les Nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.".

L'éducation aux droits de l'homme: une composante de l'éducation

L'éducation aux droits de l'homme fait partie du droit à l'éducation, ce qui est clairement exprimé dans les textes universels. Pour répondre à cette obligation, deux Organisations intergouvernementales ont formulé des recommandations. L'Unesco a adopté, en 1974, une recommandation sur l'éducation à la compréhension internationale, qui a été réactualisée par la Conférence internationale de l'éducation en 1994, à Genève. En 1985, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, rappelant tous les engagements qui avaient déjà été pris, a pour sa part adopté la Recommandation sur l'éducation et l'enseignement des droits de l'homme à l'école (recommandation R(85)7).

L'obligation de diffuser et de faire connaître les droits de l'homme peut sembler une évidence. Pourtant, c'est un aspect trop souvent oublié. Ce n'est que récemment que ce thème a retrouvé une certaine actualité.

Principes et valeurs

Nous avons vu que les droits de l'homme ne procèdent pas d'une conception philosophique fermée, mais d'un cadre de référence permettant à une pluralité de conception de coexister. De même, en éducation, les droits de l'homme n'imposent pas d'approches pédagogiques particulières. Mais ils fournissent un cadre de référence pour leur prise en considération, étant acquis par ailleurs qu'il tombe sous le sens que des pratiques pédagogiques violant des droits fondamentaux n'ont pas ici droit de cité.

Le droit à l'éducation rappelle que l’éducation doit reposer sur une base fondamentale: l'égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains. C'est sur cette égalité, avons-nous vu, que doivent s'organiser les relations dans une société respectueuse des droits de l'homme. Cette notion d'égale dignité, résultat de la grande tradition européenne de l'humanisme et du droit naturel, a non seulement influencé la formulation du droit positif contemporain, mais aussi les idées pédagogiques. C'est ainsi que les débats sur le respect de l'individu ont toujours porté sur les principes d'éducation qui devaient permettre son épanouissement.

L'égalité de droits en éducation peut être examinée sous au moins trois angles: a) égalité d'accès à l'enseignement; b) égalité des chances dans le parcours scolaire; c) égalité de traitement dans les relations d'apprentissage et les lieux d'enseignement.

Les fondements des droits de l'homme rappellent aussi un certain nombre de principes qui doivent orienter toute éducation aux droits de l'homme et qui peuvent être regroupés ainsi: a) dignité, liberté, réciprocité, sécurité, respect; b) explicitation des règles, référence aux droits de l'homme, existence de recours; c) climat de travail démocratique, participation, accès aux informations, liberté d'expression.

Dignité, liberté, réciprocité, sécurité de la personne, respect

Ces notions dérivent directement des fondements des droits de l'homme et sont explicitement traduites dans nombre d'articles. Elles orientent autant la relation pédagogique entre enseignants et enseignés que l'organisation scolaire et les relations entre membres d'une communauté enseignante.

La dignité sert à faire comprendre l'esprit des droits de l'homme. L'intérêt de cette notion réside dans sa capacité intégratrice de plusieurs dimensions de la personne. C'est pourquoi elle ne peut être définie en absolu. La dignité est un sentiment personnel, subjectif. Une partie de son contenu est du ressort, consciemment ou inconsciemment, de l'individu. Mais il témoigne aussi de la reconnaissance de l'entourage ou de la société. Il paraît évident que tout enseignement et tout lieu d'enseignement doivent être organisés dans le respect de la dignité des personnes qui y oeuvrent. La notion de dignité indique aussi l'importance d'une réelle écoute de l'expression des membres d’une communauté scolaire, puisqu'il n'est pas possible décréter la dignité d'autrui.

La liberté: que de débats autour de ce mot fétiche! Les textes relatifs aux droit de l'homme distinguent les notions de droits et de libertés. Ces dernières nous ramènent le plus immédiatement aux droits naturels. En pédagogie, c'est l'ouverture à l'autonomie, à l'esprit critique, à la créativité, à l'expression, etc. Mais c'est aussi le risque car la liberté de l'élève et de l'étudiant est aussi celle d'une possible remise en cause du contenu des méthodes et de l'organisation de l'enseignement. Mais la liberté est incontournable, puisque sans elle, l'éducation aux droits de l'homme perd sa raison d'être.

Les droits de l'homme impliquent la réciprocité. Celle-ci découle de l'égalité de droits. Les droits qui concernent Soi concernent aussi Autrui. Chacun doit aussi pouvoir participer à la définition des droits. En éducation, cette notion est très importante. Elle touche directement à la relation éducative, qui doit être faite d' échanges réciproques entre enseignants et enseignés ainsi qu'entre enseignants et entre enseignés eux-mêmes. Cela permet de préciser, contrairement à une crainte parfois exprimée, que le respect des droits de l'homme n'opère pas simplement un reversement de pouvoir dans l'institution. Il y a asymétrie entre l'enseignant et l'enseigné, mais celle-ci ne doit pas être le prétexte à abus de pouvoir. L'élève a droit à être entendu et respecté. L'inverse est aussi vrai. Le respect de l'élève, de ses droits, implique celui des enseignants et de tous les membres ou partenaires de la communauté scolaire.

Les droits de l'homme cherchent à assurer à chacun une sécurité personnelle. Celle-ci permet l'exercice des libertés sans que celles-ci entraînent de menaces pour autrui. C'est un principe essentiel en éducation. Il faut instaurer un climat de confiance pour favoriser l'expression, la créativité, même si cela crée une certaine confrontation. Pour cette raison, la sécurité personnelle, pour tous les partenaires d'une communauté scolaire est essentielle. Ce principe est de ceux qui font la particularité de l'éducation aux droits de l'homme. C'est aussi un critère d'évaluation du respect porté les uns aux autres dans une collectivité. C'est aussi une indication de l'égalité de libertés pour ses membres.

Respect des droit de l'homme, respect d'autrui. C'est par le respect de chacun, dans la communauté scolaire, comme dans la société, que s'exprime l'égalité de droits. L'élève est au centre de la raison d'être de l'institution scolaire. Toutefois, son statut d'apprenant, donc d'une certaine dépendance par rapport aux savoirs et à l'institution, rend encore plus essentielle cette notion de respect de sa personne. Il n'a pas encore la maîtrise des contenus, ni toujours de possibilité de les définir. Indépendamment des progrès qui peuvent être enregistrés sur ce point, l'élève doit pouvoir toujours recevoir le message du respect de sa personne dans son parcours de formation, respect qui devrait être le reflet de celui que porte toute société dite démocratique à ses citoyens.

Règles explicites, existence de recours

La particularité de l'éducation aux droits de l'homme est sa référence aux textes juridiques. Il y a plusieurs niveaux de références à respecter.

Nous avons vu que dans "droits de l'homme", il y a "droits". Nous avons aussi vu le rapport entre droits naturels et droits positifs. Une éducation qui ferait simplement allusion aux grands principes moraux, sans présenter leur traduction dans des normes juridiques et des institutions d'application ne pourrait être considérée comme une éducation aux droits de l'homme. La connaissance des textes garantissant les droits et les usages que l'on peut en faire est un élément fondamental d'une éducation aux droits de l'homme.

Toutefois, il ne faut pas se limiter à cette démarche cognitive. Dans la pratique éducative, il faut aussi que les règles soient explicitement connues et légitimes. C'est-à-dire que tout fonctionnement d'une communauté éducative, que ce soit la classe ou l'école, obéisse à des règles clairement connues. Il faut donc une certaine transparence et un fonctionnement qui présente lui aussi certaines garanties.

L'une des garanties des droits de l'homme est l'existence de recours permettant à l'individu de se faire entendre lorsqu'il pense que ses droits sont bafoués. Dans l'organisation scolaire, il faut aussi de tels recours, pour que les membres d'une communauté scolaire puissent faire connaître leurs griefs, s'il y a lieu. Souvent, la confusion des pouvoirs dans une institution scolaire empêche l'existence de tels lieux. Ainsi, le respect des droits de l'homme peut s'en trouver contrarié.

Climat démocratique, participation, accès à l'information, liberté d'expression

Ce troisième volet concerne les conditions dans lesquelles se déroule la relation pédagogique. Si un minimum de climat démocratique, de respect des personnes n'existe pas, la contradiction avec le message des droits de l'homme annihilera ce dernier. Il n'est pas possible alors de parler d'éducation aux droits de l'homme.

La démocratie est le système qui permet et garantit le meilleur respect des droits de l'homme. A l'école, le fait d'instaurer un véritable climat démocratique signifie que les questions de pouvoir dans le lieu d'enseignement peuvent être discutées. Compte tenu des obligations et des pouvoirs spécifiques de l'établissement scolaire, il n'est pas possible d'y reproduire toutes les institutions qui garantissent les droits de l'homme dans la société. Mais raison de plus: si l'école possède, de par la loi, certains pouvoirs de tutelle sur les enseignés, elle a cependant obligation de respecter les règles démocratiques de la société. Dans cet esprit, c'est à l'école qu'il incombe de participer à la construction du rapport aux droits fondamentaux. L’école n'est donc pas "hors de la société", mais "dans la société".

La participation découle directement de la règle de réciprocité. La personne doit pouvoir participer, sous une forme ou une autre, à la gestion des affaires publiques et donc, aux décisions qui la gouvernent. C'est une des garanties des droits de l'homme. La participation des différentes composantes à la vie d'une communauté scolaire peut être assez vaste. Elle peut prendre différentes formes et couvrir différents champs, y compris les contenus d'apprentissage. Cela dépend des conditions et de l'orientation du lieu d'enseignement. Pour que la participation soit authentique et aussi large que possible, l'existence d'un climat démocratique est une condition essentielle.

La liberté d'accès à l'information est une des conditions de l'exercice des autres droits. On en retrouve ainsi plusieurs mentions dans les textes des droits de l'homme, jusque dans le Convention relative aux droits de l'enfant(1989). À l'école, cela concerne aussi bien les informations officielles internes à l'établissement que celles qui proviennent de l'extérieur. La responsabilité pédagogique est d'assurer la qualité de ces informations.

La liberté d'expression. C'est un des droits auxquels il est souvent fait référence. Nous avons vu combien il compte pour assurer le respect de la dignité de chacun. Il s'agit donc plus que d'un simple exutoire. C'est un des principes fondamentaux de l'action pédagogique et donc de l'éducation aux droits de l'homme.

IV. Pour conclure

L'éducation aux droits de l'homme se présente comme un levier qui permet d'enrichir la pédagogie en général -et non un seul courant pédagogique-. Elle se prête à des possibilités d'intervention multiples et diversifiées. Elle est source d'inclusion sociale.

Toute personne est un sujet de droit dans la société. Ce statut est celui de tous les membres d'une communauté scolaire. Il fonde la relation avec les institutions. L’éducation aux droits de l’homme rappelle que le processus d’apprentissage que les élèves ou les étudiants vont suivre doit leur permettre de comprendre leur qualité de citoyen dans la société en la vivant déjà dans l’école.

 

Notes

(1)Voir: Imre Szabo(1982). Historical Foundations of Human Rights and Subsequent Developments. In: The International Dimensions of Human Rights. Paris: Greenwood Press/Unesco, 11-40; Jeanne Hersch(1990, dir.). Le droit d'être un homme. Paris: Lattès/Unesco, 175; Jean Dumont(1995). La vraie controverse de Valladolid, Premier débat des droits de l'homme. Paris: Criterion. Retour au texte

(2)Commission internationale des juristes(1993). Vers une justice universelle. Genève, 13. Retour au texte

(3) Glen Johnson et Janusz Symonides(1991)..La Déclaration universelle des droits de l'homme. Paris: L'Harmattan/Unesco.Retour au texte

(4) Nijhoff(1975). Recueil des travaux préparatoires. La Haye, I, 195.Retour au texte

(5)Hugh Starkey(1991, dir.). The Challenge of Human Rights. Londres: Cassell Educational Limited/Conseil de l'Europe. Francine Best(1992). Pour l'éducation aux droits de l'homme. Strasbourg: Conseil de l'Europe/Conseil de la coopération culturelle; Douglas Ray(1994, dir.).Education for Human Rights, an International Perspective. Paris: Unesco/Bureau international de l'éducation; Dominique Jonlet et Christian Lannoye(1995, dir.).Apprendre la démocratie et la vivre à l'école. Bruxelles: Éditions Labor.Retour au texte

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