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Droits de la femme et discriminations
par Henriette-Angèle Sig, E.I.P Cameroun
L'auteure trace un portrait général de la situation des droits de la femme en Afrique et, en particulier, au Cameroun. Elle souligne les principaux facteurs qui ont contribué, à ce jour, à maintenir la femme africaine dans un état de dépendance et à la priver, par conséquent, de l'égalité en droits. Elle illustre son exposé de nombreux exemples et conclut par des propositions qui visent à assurer à la femme africaine un meilleur avenir. L'exposé de Madame Sig a servi de point de répère aux discussions d'un groupe de travail* sur les discriminations faites aux femmes. * |
Les droits de la femme en Afrique
Au vu de cette convention, on serait peut-être tenté d'affirmer que le problème entre l'homme et la femme ne se pose plus en Afrique. Mais qu'en est-il au juste?
La femme africaine est considérée comme une aide de l'homme sur qui repose la société. Dans la société ancestrale, la femme africaine jouissait d'une plus grande reconnaissance. Elle était consultée par l'époux avant un voyage, par exemple. A la veille d'une décision importante à prendre, elle était écoutée, au titre de «Ministre conseiller». Elle assumait, en outre, la responsabilité du Tribunal des Femmes ,que les consoeurs redoutaient davantage que celui des hommes.
La femme africaine paraät n'avoir aujourd'hui que des devoirs. Et elle n'a pas droit à l'erreur. «Sa» place, c'est la maison ou le foyer et ce, dès sa naissance. Sa «puissance» et son «pouvoir», d'ordre domestique, ne se prolongent pas dans la vie publique. En dépit de son niveau d'instruction parfois supérieur à l'homme, le statut social de la femme africaine est la plupart du temps réduit à sa portion congrue.
Dès son jeune âge, elle entre à «l'école de la femme», pour l'entretien de la famille. Elle accomplit les travaux domestiques (laver le linge, aller chercher de l'eau, faire les champs, cuisiner et s'occuper de ses plus jeunes frères) pendant que son frère, par exemple, s'amuse à des jeux ou fréquente l'école.
Tout l'apprentissage qu'elle reçoit se résume en une préparation au mariage. En effet, la fille est sollicitée dès sa naissance -ou même avant-. Mais sa naissance est annoncée sans enthousiasme puisqu'elle est appelée à partir. Elle finira, encore adolescente, par habiter dans la famille de son époux: une femme africaine n'est respectée que si elle est mariée. La femme africaine représente un placement pour sa famille (mariage avec dot) et un bien social pour sa belle-famille car à la mort de son époux, un des frères du défunt la prendra à son tour pour épouse.
Quel que soit le contexte où elle se trouve, la femme est reléguée en permanence au statut d'assistante de l'homme: celle qui peut le seconder dans certains domaines sans que son opinion soit, par ailleurs, prise en compte dans la plupart des décisions familiales. A cet égard, son mari se contente de l'en informer dans la mesure où il l'estime nécessaire. Son rúle est de servir la société masculine, faire des enfants et les éduquer, mais sans prendre des décisions en ce qui les concerne; si elle n'est pas mariée, ses frères, son père ou ses oncles exerceront l'autorité sur sa progéniture.
La situation de la femme africaine contemporaine soulève plusieurs questions. Il faudra les analyser avec attention; au nombre de celles-ci mentionnons: l'éducation et l'accès à la formation scientifique et technique, la pauvreté l'insécurité alimentaire, la santé de la mère, la participation aux instances supérieures de décision, la protection juridique, le statut et les droits de la fille-mère, la gestion des ressources naturelles. Dans un autre registre et compte tenu de la gravité de situation, il faudrait apprendre à compter avec la participation des femmes aux efforts consentis en vue du renforcement des processus de paix.
La femme camerounaise et ses droits
Malgré une décennie consacrée aux femmes par les Nations Unies, on constate que les stratégies d'action adoptées en 1985 n'ont pas connu de progrès notables. L'analphabétisme des femmes, la précarité de leur santé, une législation mal appliquée ou discriminatoire à leur endroit ainsi que leur exclusion des sphères de décision figurent au nombre des problèmes non résolus et ce, en dépit des efforts des femmes en vue de leur intégration dans les grands courants nationaux de développement.
La crise économique actuelle (baisse du budget de l'Etat et la dévaluation du franc CFA) a freiné l'exécution des programmes en faveur des femmes. Les faiblesses suivantes continuent à être observées.
a) Partage inégal du pouvoir et de la responsabilité dans la prise des décisions
L'effectif des femmes députés est en regression; on en comptait 27 en 1988-1992 et 22 en 1992-1994, sur un total de 180. Au Conseil économique et social, le nombre de femmes n'a pas augmenté.
Actuellement, il n'y a qu'une seule femme ministre, une Secrétaire d'Etat et deux Secrétaires Généraux de Ministère et une Directrice générale de Société. Le nombre est ainsi passé de 7 à 5, puis à 3 seulement dans le Gouvernement actuel. Aucune femme à ce jour n'a été nommée Ministre de l'Education, ou de la Santé, ou de la Justice ou de la Défense; encore moins Premier Ministre!
Même si les femmes camerounaires occupent plusieurs postes dans les administrations publiques, aucune d'entre elles n'est Gouverneur de Province, Préfet ou Sous-Préfet. Une seule est Maire, une seule est à la tête d'un parti politique et une seule est Ambassadeur. Si, par ailleurs, leur nombre dans la profession d'avocat a augmenté, celui des Huissiers et Notaires, cependant, reste stagnant.
La femme est davantage présente à tous les niveaux, mais demeure sous-représentée, compte tenu de ses capacités. Certains secteurs comme la diplomatie et le commandement, par exemple, demeurent la chasse-gardée des hommes.
b) La pauvreté
35% des chúmeurs sont des femmes. La pauvreté est fortement ressentie dans les ménages dont le chef de famille est une femme. On n'attribue aucune valeur économique aux tâches et aux responsabilités domestiques.
c) Inégalités d'accès à l'éducation, à la santé et à l'emploi
Plus de 50% des femmes ne savent lire ni écrire. Au plan de la fréquentation scolaire, l'écart entre les filles et les garçons se creuse à partir du secondaire et est encore plus pregnant au niveau des études universitaires. Ces inégalités s'observent surtout dans les zones rurales où l'on continue de mépriser l'instruction des filles. Dans les milieux urbains, la physionomie est un peu différente grâce au changement des mentalités, mais la préférence accordée aux garçons se maintient au motif que la jeune fille finira bien par se trouver un mari. Cette discrimination provoque des frustrations et vulnérabillise la jeune fille. Elle voit, du coup, ses chances d'accès à un emploi salarié fortement hypothéquées.
Dans le domaine de l'emploi, le nombre de femmes qui enseignent à la maternelle et à l'école primaire a augmenté, cependant qu'il est resté stable au secondaire et dans l'enseignement supérieur. Dans d'autres secteurs d'activités, les employeurs refusent de recruter les femmes pour éviter de leur accorder d'éventuels congés de maternité.
Au plan socio-sanitaire, ces dernières années ont vu l'accent mis sur la protection maternelle et infantile, en particulier dans les centres urbains où l'on assiste régulièrement à des campagnes de planification familiale et de vaccination. D'autre part, si les accouchements ont lieu de plus en plus dans les centres hospitaliers, 20% d'entre eux continuent de se pratiquer selon des méthodes traditionnelles usant d'un matériel non stérilisé. La femme rurale, quant à elle, est presque abandonnée. La sensibilisation faite à leur endroit demeure très faible et, par conséquent, inefficace. Dans plusieurs familles, la malnutrition chronique et la sous-alimentation restent hautement problématiques. La femme continue ainsi à être exposée à plusieurs maladies.
d) Violences faites contre les femmes
La société africaine accorde le droit de correction aux hommes. Les femmes sont ainsi victimes de plusieurs formes de violence exercée par leur entourage immédiat, notamment les parents et l'époux. Dans certaines régions, la mutilation des organes génitaux des jeunes filles demeure un fait et les viols et le harcellement sexuel sont des pratiques largement sous-estimées. Des organisations de femmes s'employent à mener une lutte constante contre ce fléau.
e) Inégalités d'accès aux structures politiques, économiques et aux processus de production
La participation des femmes y est faible ou limitée. Elles restent privées du droit de propriété foncière en raison des traditions retrogrades; elles n'en sont que des usufruitières, exclues par ailleurs des bénéfices des récoltes des produits de la terre.
f) Les femmes dans les conflits armés
L'armée camerounaise compte en son sein des femmes officiers et sous-officiers , mais celles-ci n'exercent guère les décisions relatives au maintien et à la sauvegarde de la paix.
Le droit interne face aux droit international des droits des femmes
Depuis l'indépendance, toutes les constitutions camerounaises ont proclamé tour à tour l'égalité des sexes suivant la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Cameroun a adopté en conséquence un certain nombre de textes législatifs et réglementaires, qui respectent les droits et libertés des femmes.
Le code pénal protège la femme enceinte, dénonce l'exigence d'une dot élevée et l'enlèvement des mineurs. Le code de travail stipule que tous les travailleurs sont soumis aux mêmes règles: capacité, salaire, libertés syndicales. Le travail de nuit est interdit aux femmes.
En regard de ces instruments, on serait enclins à penser que la femme camerounaise n'a pas de problème. Mais ce serait vite oublier qu'elle demeure marginalisée sur le marché de l'emploi et qu'elle continue d'être l'objet de nombreuses formes de discriminations et d'inégalités.
a) Mesures discriminatoires à l'égard de la femme
- Le mari peut s'opposer à l'exercice, par son épouse, d'une profession; il peut également mettre fin à ses activités commerciales.
- La propriété n'est pas garantie aux femmes mariées.
- L'administration des biens de la communauté est confiée au mari qui peut les vendre, les hypothéquer sans l'asentiment de son épouse; le mari a mainmise sur l'administration de tous les biens de la femme.
- En cas d'interdiction judiciaire de la femme, le mari devient, de droit, le tuteur de cette dernière. Mais le contraire est interdit.
- La femme adultère est facilement sanctionnable. Son infidélité peut être dénoncé en tous lieux. Par contre, l'adultère du mari n'est reconnu que s'il a été commis au domicile conjugal, ce qui rend la preuve difficile à faire.
b) Toutes ces discriminations sont renforcées par les pratiques coutumières et traditionnelles dont voici quelques exemples:
- la femme n'a pas droit à la succession, ni dans sa famille ni dans celle de son mari, où elle est considérée comme une propriété et, par conséquent, un bien de succession;
- traditionnellement, la femme est définie comme procréatrice et travailleuse domestique, et non comme une personne pouvant bénéficier d'un travail rémunéré, salarié.
Solutions et stratégies
Aux plans éducatif et culturel, il faudrait mettre sur pied des centres d'alphabétisation populaire, surtout dans le monde rural, et qui assureraient la formation de la jeune fille, de la mère et des hommes réceptifs à une telle formation. Cette formation devrait par ailleurs viser au renforcement des médias dans leurs rúles de sensibilisation de l'opinion à l'égalité entre les sexes. A l'école, il faudrait épurer les manuels scolaires de leurs stéréotypes sexistes, entreprendre une réforme des programmes d'études et développer l'éducation sexuelle afin, notamment, de protéger les jeunes filles des grossesses précoces. En marge des services éducatifs, il importerait de créer des centres pour accueillir les filles-mères et les aider à persévérer dans leurs études.
Au plan socio-sanitaire, il importe de viser à l'éradication des carences alimentaires, de la malnutrition et de la sous-alimentation. D'autre part, la dissémination de toute information relative à la prévention du SIDA et des autres maladies sexuellement transmises devrait être une priorité.
Dans le domaine socio-économique, il faudrait ouvrir largement l'accès des femmes au monde du travail, combattre la pauvreté et diminuer le taux de chúmage actuel de celles-ci, renforcer les facteurs qui facilitent l'égalité et la pleine participation des femmes aux structures décisionnelles, assurer l'accès des femmes aux services de crédit, soutenir les organismes d'entraide et venir en aide aux femmes chefs de famille. Il faudrait également moderniser le secteur agricole en allégeant le travail de la femme rurale et en l'associant à la gestion de l'environnement.
Au plan socio-juridique, il importe de promouvoir l'information et l'enseignement des droits de la femme et de l'enfant et mettre en oeuvre des mesures visant le développement de la femme. Les émission radiophoniques urbaines consacrées aux droits des femmes devraint être diffusées sur la chaäne nationale dans les langues vernaculaires en usage. Il faut également assurer une meilleure protection des femmes et des enfants lors des conflits armés. Ces considérations commandent l'application immédiate du droit international des droits humains de la femme.
*** Les femmes africaines subissent leur environnement ou ne le maätrisent que très peu. Il leur manque des outils appropriés. Mais la femme africaine est parfois sa propre ennemie : au lieu de s'organiser pour mieux combattre, les femmes se livrent parfois à des luttes d'influences. Même celles qui ont accédé à des postes de responsabilités se désintéressent des problèmes de leurs consoeurs. La bataille menée par certaines est considérée par les autres -et les hommes- comme une incitation à la révolte. Mais le combat doit continuer, en proposant des solutions et des stratégies pour atteindre nos objectifs. Il faut mettre la femme au premier plan car trop souvent, l'homme a montré son incapacité: ce qui n'est pas sans liens aujourd'hui avec la décadence dans laquelle se trouvent plusieurs pays africains.
*NDLR. La démarche employée lors des discussions en atelier se composait des éléments suivants:
a) mots-clés: ses discriminations faites aux femmes dans les domaines i) de l'éducation, ii) de la santé, iii) de la prise de décision, iiii) des violences faites aux femmes;
b) objectifs: i) inventorier les problèmes; ii) rechercher des solutions et iii) proposer des stratégies d'action;
c) déroulement de l'activité: I) constitution de groupes mixtes; ii) travaux d'équipes; iii) synthèse collective.
© CIFEDHOP 2009