Centre international de formation pour l'enseignement des droits de l'homme et de la paix
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Par Isse Omango Bokatola,
consultant auprès du Centre de l'ONU pour les droits de l'homme, Genève
I. Prise en compte de la spécificité africaine
II . Elaboration et adoption de la CADHP
III. Les caractéristiques de la CADHP
IV. Le contenu matériel de la CADHP
V. Le contenu institutionnel de la CADHP
VI. Les communications ou plaintes auprès de la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples
VII. Le projet de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
Quelques ouvrages de référence
I. Prise en compte de la spécificité africaine
Peut-on parler des droits de lhomme en Afrique, ou des droits de lhomme africain ? La réponse à cette question est basée sur la distinction de droit international public entre les sources formelles et les sources matérielles du droit international public.
Sous langle des sources formelles, il existe des instruments régionaux relatifs aux droits de lhomme en Amérique, en Europe,... pourquoi pas alors également en Afrique ?
Sous langle des sources matérielles, par analogie aux raisons particulières qui ont motivé ladoption de textes en Amérique, en Europe, des raisons propres aussi à lAfrique nécessitent ladoption dun texte particulier à ce continent. En dautres termes, les spécificités africaines appellent à ladoption dun texte africain. Deux exemples serviront à illustrer notre propos. Premièrement, en ce qui concerne les rapports entre lindividu et la société en Afrique, la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples (CADHP) prend en considération le fait quen Afrique, lindividu est un élément de la société et ne se réalise pleinement que dans cette société (la famille au sens large, le lignage, le clan, la tribu, lethnie, etc.); en second lieu, et pour ce qui est des rapports entre les sociétés africaines et le reste du monde, la lutte contre le colonialisme et pour le développement se retrouve également dans la CADHP.
On peut trouver dans la CADHP une nouvelle conception des droits de lhomme fondée sur le principe de solidarité, dune part celle entre lindividu et la société et dautre part, celle entre les nations. Cela ne remet pas en cause luniversalité de lhomme et de ses droits: la CADHP allie tout simplement les valeurs traditionnelles de la civilisation africaine aux apports du monde contemporain.
II . Elaboration et adoption de la CADHP
La CADHP est un exemple-type de texte international à lélaboration duquel les particuliers, individuellement et collectivement, ont activement participé, en jouant le rôle de puissant stimulant vis-à-vis des gouvernements des Etats africains. Lélaboration et ladoption de la CADHP a connu plusieurs étapes.
1° En 1961, se tient le colloque des juristes africains à Lagos (Nigéria), organisé à linitiative dune Organisation internationale non gouvernementale - la Commission internationale de juristes, où l'on proclame de la primauté du droit et de la valeur "de lege ferenda" des droits de lhomme en Afrique.
2° En 1978, a lieu le colloque de Dakar (Sénégal), également à linitiative de la Commission internationale de juristes, où l'on asssistera à la création dun "comité de suivi", composé de 4 personnalités africaines, chargé de présenter aux Etats des propositions sur le développement et les droits de lhomme.
3° En 1979, se tient la réunion au sommet des Chefs dEtat et de Gouvernement de lOUA à Monrovia (Libéria), où l'on examine du projet relatif aux droits de lhomme du "comité de suivi".
4° Vers la fin de 1979, une réunion dexperts - juristes africains indépendants à Dakar (Sénégal), à linvitation du Secrétaire général de lOUA, procède à l'élaboration de lavant-projet de la CADHP.
5° C'est en 1980-1981 que sera élaborée la Charte de Banjul (CADHP) lors de la Conférence des Ministres de la justice de lOUA à Banjul (Gambie).
6° En 1981, lors du Sommet des Chefs dEtat et de Gouvernement de lOUA à Nairobi (Kenya), la CADHP sera adoptée, le 27 juin 1981.
7° Le 21 octobre marque la date de l'entrée en vigueur de la CADHP.
III. Les caractéristiques de la CADHP
a) Au plan normatif
Dans la CADHP est affirmée une nouvelle génération de droits de lhomme: les droits de solidarité, dont le bénéficiaire est le peuple.
La Charte retient également le concept de devoirs de lindividu, basé sur le principe de solidarité entre lindividu et la société, conforme à la conception africaine selon laquelle les droits et les devoirs sont inséparables.
b) Au plan institutionnel
La spécificité se traduit ici par labsence dune Cour africaine des droits de lhomme et des peuples, les Etats africains ayant préféré les modes consensuels de règlement des différends (négociation, médiation, conciliation) au détriment des procédures de type juridictionnel. Il faut savoir que le droit africain traditionnel est essentiellement conciliatoire et non contentieux. Toutefois, cette spécificité du système africain des droits de lhomme va peut-être bientôt disparaître, les Etats africains ayant accepté notamment sous la pression des particuliers et des organisations non gouvernementales le principe de la création dune Cour africaine des droits de lhomme et des peuples.
IV. Le contenu matériel de la CADHP
a) Les droits
Parmi les droits individuels, dont le titulaire est lindividu, nous avons les droits civils qui visent à: i) protéger lintégrité de lindividu : droit à la vie (art. 4); droit à lintégrité physique et morale (art. 4); interdiction de toutes formes dexploitation et davilissement de lhomme (art. 5); ii) protéger la liberté de lindividu : droit à la liberté et à la sécurité (art. 6); droit à une bonne administration de la justice (art. 7); droit à la liberté de conscience et de religion (art. 8); droit à la liberté de mouvement (art. 12); iii) protéger la propriété de lindividu (art. 14);
Les droits politiques comprennent: i) le droit à linformation et à la liberté dexpression (art. 9); ii) le droit à la liberté dassociation (art. 10); iii) la liberté de réunion (art. 11); iiii) le droit de libre participation à la direction des affaires publiques et à l'égal accès aux fonctions biens et services publics (art. 13).
Les droits économiques, sociaux et culturels comprennent: i) le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes (art. 15); ii) le droit à la santé (art. 16); le droit à léducation et à la libre participation à la vie culturelle de la communauté (art. 17); iii) la protection de la famille et de certaines catégories de personnes, à savoir les femmes, les enfants, les personnes âgées ou handicapées (art. 18).
S'agissant des droits collectifs (le titulaire est le peuple), on peut mentionner: i) le principe dégalité des peuples (art. 19); ii) les droits collectifs de liberté que sont le droit des peuples à lexistence et à lautodétermination (art. 20), le droit des peuples à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles (art. 21). Les droits collectifs de solidarité sont: i) le droit au développement (art. 22); ii) le droit au patrimoine commun de lhumanité (art. 22); iii) le droit à la paix et à la sécurité (art. 23); iiii) le droit à un environnement satisfaisant (art. 24).
b) Les devoirs de lindividu
La CADHP énonce 2 types de devoirs de lindividu: i) des devoirs généraux qui ne prescrivent à lindividu aucune obligation particulière envers des entités précises (art. 27, art. 28, art. 29 par. 7); ii) des devoirs spéciaux envers des entités déterminées : la famille et les parents(art. 29 par. 1), la société (art. 29 par. 4, par. 6, par. 7), lEtat et les autres collectivités légalement reconnues (art. 29 par. 2, par. 3, par. 5), la communauté internationale (art. 29 par. 8).
V. Le contenu institutionnel de la CADHP
Trois organes soccupent de la mise en oeuvre de la CADHP: la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples (organe denquête et de médiation), la Conférence des Chefs dEtat et de Gouvernement (organe de décision), le Secrétaire général de lOUA (organe de coordination).
a) La Commission
Installée le 2 novembre 1987 à son siège à Banjul (Gambie), elle est composée de 11 membres indépendants qui ont un mandat de 6 ans renouvelable. Elle tient 2 sessions ordinaires par an avec soumission de rapports à lOUA.
La Commission a trois types de fonctions: i) promotion des droits de lhomme et des peuples, avec divers mandats, pédagogique, quasi législatif, de coopération et dexamen des rapports périodiques bi-annuels des Etats; ii) protection des droits de lhomme et des peuples, avec comme mission lexamen des communications ou plaintes des Etats parties et dautres communications (des particuliers, personnes physiques ou morales et des ONG; iii) interprétation des dispositions de la CADHP.
La Commission connaît depuis son installation des difficultés persistantes dordre matériel liées à linsuffisance des moyens fournis par lOrganisation de l'unité africaine(en matière de personne, déquipement et de dotations budgétaires) ou incombant au pays abritant le siège (la Gambie).
b) La Conférence des Chefs dEtat et de Gouvernement
Elle détient le droit dinitiative vis-à-vis de la Commission, le pouvoir de contrôle de la Commission, enfin le pouvoir de décision: toutes les décisions finales relatives à laspect protection des droits de lhomme et des peuples par la Commission, relèvent de la compétence des Chefs dEtat et de Gouvernement. Cet organe peut donc jouer un véritable rôle de censeur de la Commission.
c) Le Secrétaire général de lOUA
Il coordonne les travaux de la Commission, et lassiste dans son rôle de promotion et de protection des droits de lhomme et des peuples.
VI. Les communications ou plaintes auprès de la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples
a) Qui peut transmettre une communication?
Les Etats selon une procédure spéciale (art. 47 à 54 de la CADHP); toute organisation non gouvernementale (ONG) africaine ou internationale, quelle soit dotée ou non du statut dobservateur auprès de la Commission; tout individu résidant dans un Etat partie à la CADHP et qui prétend être victime dune violation; tout autre individu, sil apparaît que la prétendue victime est dans lincapacité de présenter elle-même la communication.
Les communications doivent être transmises par écrit au Secrétaire de la Commission. Ainsi, il nest pas nécessaire de se rendre personnellement à Banjul à cet effet.
b) Quelles sont les conditions de recevabilité dune communication?
Dabord, la communication doit viser un Etat ayant ratifié la CADHP. Ensuite, elle doit concerner des droits énoncés dans la CADHP.
Toute communication doit être écrite et contenir un exposé détaillé et complet des faits dénoncés ainsi que les dispositions de la Charte prétendument violées. Toutefois, les communications concernant des violations des droits de lhomme autres que ceux expressément prévus dans la CADHP sont également examinées si elles remplissent toutes les autres conditions de recevabilité.
Pour être examinée, toute communication doit indiquer: i) lidentité (nom et prénoms, adresse, âge et profession) de lauteur (particulier ou ONG), même si celui-ci demande à la Commission de garder lanonymat; ii) le nom de lEtat (qui doit être un Etat africain ayant ratifié la Charte) contre lequel la communication est dirigée; iii) les dispositions prises par lauteur pour épuiser les recours internes, à moins quil ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge dune façon anormale; iiii) si la même question est déjà soumise à une autre instance denquête ou de règlement, par exemple, au Comité des droits de lhomme des Nations Unies; iiiii) la ou les violations précises faites aux droits de lhomme et des peuples.
Ne sont pas examinées les communications qui sont anonymes, qui contiennent des termes insultants; qui se contentent de rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse (lauteur doit faire état dautres sources dinformations), qui ne peuvent prouver que les recours internes ont été épuisés ou que la procédure de ces recours se prolonge dune façon anormale, qui ne sont pas introduites dans un délai raisonnable courant depuis lépuisement des recours internes, qui concernent des cas qui ont été réglés conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de la Charte de lOUA ou des dispositions de la CADHP.
c) Quel est le sort réservé à une communication?
Le Secrétaire de la Commission établit la liste des communications soumises à la Commission. Les communications qui ne visent pas un Etat partie à la Charte ou qui sont manifestement sans objet ne sont pas prises en considération par le Secrétaire. A sa plus proche session, la Commission charge un de ses membres de lui présenter des recommandations relativement aux conditions de recevabilité et décide si la communication est ou nest pas recevable.
Avant tout examen au fond, toute communication doit être portée à la connaissance de lEtat intéressé afin de donner à celui-ci la possibilité de soumettre ses observations. La Commission ne divulgue pas le nom de lauteur lorsque celui-ci demande de garder lanonymat.
Si une communication ne remplit pas toutes les conditions stipulées, la Commission peut demander à lauteur de la communication de lui fournir des éclaircissements. La Commission peut fixer à lauteur de la Communication un délai pour la présentation des renseignements demandés.
Après avoir reçu les renseignements demandés, la Commission décide si la communication est ou nest pas recevable. Si la Commission décide quune communication est irrecevable, elle fait connaître sa décision à lauteur de la communication ainsi quà lEtat intéressé.
Si lEtat partie ne donne pas suite, la Commission peut poursuivre lexamen de la communication. Selon larticle 46, la Commission peut recourir à toute méthode dinvestigation appropriée; elle peut entendre le Secrétaire général de lOUA et toute personne susceptible de léclairer. A la lumière de tous les renseignements qui lui sont communiqués, la Commission - sur recommandation dun groupe de travail créé à cette fin - fait part de ses constatations à lEtat partie intéressé et informe également lauteur de la communication.
Conformément à la pratique africaine et internationale généralement acceptée, la Commission peut, à tout moment pendant la procédure, mettre ses bons offices à la disposition de lEtat partie intéressé, afin de parvenir à une solution à l'amiable.
Lorsquil apparaît à la suite dune délibération de la Commission quune ou plusieurs communications relatent des situations particulières qui semblent révéler lexistence dun ensemble de violations graves ou massives des droits de lhomme et des peuples, la Commission attire lattention de la Conférence des Chefs dEtat et de Gouvernement sur ces situations (art. 58 par. 1). La Conférence peut, lorsquelle est informée par la Commission dune situation particulière qui révèle lexistence dun ensemble de violations graves ou massives des droits de lhomme et des peuples, demander à la Commission de procéder sur ces situations à une étude approfondie et de lui rendre compte dans un rapport circonstancié, accompagné de ses conclusions et recommandations (art. 58 par. 2).
VII. Le projet de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
Selon ce projet, la Cour serait appelée à compléter et renforcer les fonctions de protection que la CADHP accorde à la Commission.
La Cour serait composée de 11 juges, élus à titre personnel, de nationalité différente, qui auront un mandat de 6 ans renouvelable une seule fois.
La Cour aurait trois types de compétences: i) compétence contentieuse, à la demande de la Commission ou des Etats parties, sur toutes les affaires ou différends concernant linterprétation et lapplication de la CADHP ou de tout autre texte africain applicable et relatif aux droits de lhomme; la Cour, si nécessaire, déciderait elle-même de sa compétence; ii) compétence consultative, à la demande dune Etat membre de lOUA ou dune organisation africaine reconnue par lOUA, sur toute question juridique concernant la CADHP ou tout autre texte africain applicable et relatif aux droits de lhomme; iii) compétence exceptionnelle, à la demande des individus, des organisations non gouvernementales ou des groupes dindividus, pour recevoir des communications sans recours préalable à la Commission; les conditions de recevabilité sont ici les mêmes que devant la Commission.
La Cour pourrait, lorsquelle estimerait quil y a eu violation dun droit de lhomme ou des peuples, ordonner toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, et même décider quune juste compensation ou réparation soit accordée à la partie lésée. Elle pourrait également, dans les cas dextrême gravité ou durgence, ordonner les mesures provisoires quelle jugera pertinentes. Les décisions de la Cour seraient motivées et définitives (pas de recours possible).
La Cour soumettrait à chaque session ordinaire de la Conférence des Chefs dEtat et de Gouvernement un rapport annuel sur ses activités. Elle soulignerait dans ce rapport en particulier les cas où un Etat naura pas exécuté ses décisions.
Les Africains attendent la création de cette Cour depuis bientôt 15 ans. Puissions-nous en voir laboutissement dans un très proche avenir.
Quelques ouvrages de référence
Ait Ahmed, Hocine. Lafro-fascisme, les droits de lhomme dans la Charte et la pratique de lOUA. Paris, LHarmattan, 1980
Ayissi, Anatole. Le défi de la sécurité régionale en Afrique après la guerre froide. Publication des Nations Unies, UNIDIR/94/27, New York et Genève, 1994.
Ba, Abdoul et al. LOrganisation de lUnité Africaine: de la Charte dAddis-Abeba à la Convention Africaine des Droits de lHomme et des Peuples. Paris, Editions Silex, 1984.
Nchama, Eya et Cruz Melchior. Développement et droits de lhomme en Afrique. Paris, Publisud, 1991.
Glele-Ahanhanzo, Maurice. Introduction à lOrganisation de lUnité Africaine et aux organisations régionales africaines. Paris, L.G.D.J., 1986.
Liniger-Govmaz, Max. ONU et dictatures, de la démocratie et des droits de lhomme. Paris, LHarmattan, 1984.
Massengo-Tiassé, Maurice. Comment peut-on vivre libre et digne en Afrique? Paris, Editions Michel de Maule, 1988.
Mbaye, Keba. Les droits de lhomme en Afrique. Paris, Pedone, Commission Internationale de Juristes, 1992.
Ngom, Benoît. Les droits de lhomme et lAfrique. Paris, Editions Silex, 1984.
Ougvergouz, Fatsah. La Charte africaine des droits de lhomme et des peuples, une approche juridique des droits de lhomme entre tradition et modernité. Paris, PUF, 1993.
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